Date de début de publication du BOI : 04/10/2010
Identifiant juridique :

B.O.I. N° 86 DU 4 OCTOBRE 2010

  3. NECESSITE D'UN REHAUSSEMENT

30.Contrairement au 2 nd alinéa de l'article L 80 A, son 1 er alinéa, fait référence à la nécessité d'un «  rehaussement d'impositions antérieures  » et d'une «  première décision  ». La garantie instituée par le 1 er alinéa de l'article L 80 A ne vise donc que les cas où l'administration procède au rehaussement d'impositions antérieures. Cette disposition n'est donc applicable, en principe, qu'aux compléments d'imposition venant s'ajouter à une imposition initiale précédemment mise en recouvrement.

La notion d'imposition primitive s'entend au sens strict, c'est-à-dire, notamment, par catégorie d'impôt ou taxe. A cet égard, par un arrêt du 11 juillet 2006 n° 1016 FS-PBR, Sté Batir groupe Ellul, la Cour de Cassation a précisé qu'un rehaussement qui vise à remettre en cause l'exonération de droits de mutation dont bénéficiait l'opération litigieuse initialement soumise à la TVA ne constitue pas un rehaussement d'impositions antérieures au sens du 1 er alinéa de l'article L 80 A (et de l'article L 80 B), mais une imposition primitive (au sens du 2 nd alinéa de l'article L 80 A) qui vient en quelque sorte, se substituer à une autre.

31.Cela étant, il est admis de considérer comme des cas de rehaussement auxquels la garantie du 1 er alinéa de l'article L 80 A s'applique, le rehaussement d'une base d'imposition régulièrement déclarée mais n'ayant pas fait l'objet d'une imposition, ou la taxation initiale d'un contribuable de bonne foi placé, conformément à une prise de position formelle de l'administration à la suite d'une demande écrite de sa part, hors du champ d'application de l'impôt et n'ayant en conséquence pas souscrit de déclaration. Dans ces deux situations dérogatoires, l'interprétation revendiquée par le contribuable doit avoir été exprimée antérieurement à l'expiration du délai de déclaration dont il disposait.

  4. APPLICATION DE LA GARANTIE DANS LE TEMPS

4-1. Principe de l'antériorité de la doctrine au titre du 1 er alinéa de l'article L 80 A

32.L'interprétation doctrinale dont se prévaut le contribuable pour contester l'imposition supplémentaire mise à sa charge doit avoir été exprimée antérieurement à la date d'expiration du délai de déclaration dont il disposait ou, en l'absence d'obligation déclarative, antérieurement à la date de mise en recouvrement de l'imposition primitive à laquelle est assimilée la liquidation spontanée de l'impôt.

33.Cette règle ne s'applique pas aux impôts locaux, y compris la taxe professionnelle et la cotisation foncière des entreprises 6 , à l'exception toutefois de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises 7 , pour lesquels la condition d'antériorité doit être appréciée à la date du fait générateur de l'impôt.

4-2. Date de cessation d'effet de l'interprétation doctrinale

4-2-1. À raison d'une nouvelle doctrine rapportant la précédente, plus favorable

34.Lorsque l'administration a modifié son interprétation, il convient de se placer à la date du fait générateur de l'impôt pour apprécier quelle est la doctrine en vigueur «  ratione temporis  » (CE, du 18 mars 1988, n° 73693 et du 26 octobre 1994 n° 116175 ; Cour de cassation, 7 janvier 1997 n°53 P, Viart), c'est-à-dire notamment :

- le 31 décembre de l'année d'imposition en matière d'impôt sur le revenu ;

- la clôture de l'exercice en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés et les bénéfices industriels et commerciaux ;

- le 1 er janvier pour les impôts locaux 8 , l'impôt de solidarité sur la fortune et la taxe de 3% ;

- les dates des livraisons ou des prestations de services s'agissant de la TVA ;

- la date de la transmission en matière de mutation.

4-2-2. À raison d'un changement de législation

35.La protection qu'offrent aux contribuables les dispositions de l'article L 80 A ne peut être invoquée que si la législation interprétée par la doctrine en cause est toujours en vigueur.

Un changement de législation a donc pour effet de rendre caduque l'interprétation donnée par l'administration de la loi antérieure dès l'entrée en vigueur de la loi nouvelle (CE, 15 mai 1992, n° 71854).

De même, en rendant inapplicable pour le passé la loi précédemment en vigueur, la loi rétroactive rend périmée la doctrine se rapportant à la loi antérieure (CE, 30 juin 1982, n° 33818).

  5. CONDITIONS DE MISE EN œUVRE DE LA GARANTIE

5-1. Dispositions de portée générale

36.Outre le respect du principe de l'antériorité de l'interprétation du texte fiscal par l'administration (cf. n° 32 et s. ), la garantie prévue à l'article L 80 A n'est par ailleurs subordonnée à aucune forme particulière. Il suffit que le contribuable ait fait application de l'interprétation du texte fiscal donnée par l'administration pour que cette interprétation soit opposable au service.

5-2. Réponses aux demandes individuelles des contribuables

37.La garantie du 1 er alinéa de l'article L 80 A ne peut toutefois être conférée aux réponses aux demandes individuelles formulées par les contribuables et aux documents assimilés que si les deux conditions suivantes sont satisfaites :

5-2-1. Existence d'une prise de position de l'administration «  formellement admise  »

38.L'existence d'une position formellement admise par l'administration résulte d'une réponse écrite signée par un fonctionnaire qualifié pour engager l'administration fiscale.

39.Les contribuables sont en droit d'opposer à l'administration les réponses aux demandes individuelles qui leur sont parvenues lorsqu'elles sont écrites et signées par un agent qualifié pour engager l'administration fiscale. Il s'agira, en pratique, d'un agent ayant au moins le grade de contrôleur au sein de la DGFiP. En effet, seuls ces agents peuvent fixer les bases d'imposition ou notifier des rehaussements (CGI, ann. III, art. 350 terdecies).

40.En conséquence, ne peuvent notamment constituer une approbation des décisions fiscales prises par le contribuable et permettre à ce dernier d'invoquer, en cas de rehaussement, les dispositions de l'article L 80 A (liste non-exhaustive) :

- ni le silence gardé par l'administration sur les observations du contribuable (sous réserve des dispositifs d'accord tacite décrits à la section 2 du Titre 2) ;

- ni le fait d'avoir établi une imposition primitive conformément aux bases déclarées par le contribuable (CE, arrêts des 11 juillet 1973, n° 88817, RJ n° IV, p. 86 et 20 novembre 1981, n° 21566) ;

- ni l'absence de rehaussements lors d'un précédent contrôle (CE, arrêts des 29 juin 1981, n° 14979 ; 5 décembre 1983, n° 32180 ; 24 février 1988, n° 65430 ; 20 novembre 2002, n° 234600 ; 28 mai 2003, n° 237967) ;

- ni une décision de dégrèvement, non motivée (cf. jurisprudence ci-dessus) ;

- ni l'abandon non motivé de rehaussements envisagés notamment à l'encontre d'autres entreprises ayant participé à une même transaction (CE 14 janvier 2008 n° 297221, Sté Cuzet).

De même, sans que cette liste soit exhaustive :

- les renseignements verbaux donnés aux contribuables par les centres de renseignements fiscaux ne peuvent être regardés comme engageant l'administration pour l'application des dispositions de l'article L 80 A (CE, arrêt du 19 mars 1969, req. n° 73972, RJ, 2e partie, p. 49) ;

- la tenue des comptes des collectivités locales et établissements publics par les comptables publics, agents de la DGFiP, ne peut être regardée comme engageant l'administration pour l'application des dispositions des articles L 80 A et L 80 B ;

- une prise de position émanant d'une association de gestion agréée et établie sous sa seule responsabilité ne constitue pas une interprétation du texte fiscal au sens de l'article L 80 A. Est sans incidence la circonstance que l'association avait au préalable questionné les services des impôts, qui n'ont pas répondu (CE, arrêt du 4 décembre 1989, n° 89214).

  41. Les courriers électroniques (courriels) de l'administration en réponse aux questions d'un contribuable ne peuvent pas, en principe, être invoqués par ce dernier sur le fondement des articles L 80 A et L 80 B.

D'une part, si la messagerie électronique offre une grande souplesse et permet des échanges rapides, elle n'offre pas les mêmes garanties que les courriers sur support papier adressés par la voie postale, notamment en termes d'identification de l'émetteur ou du récepteur des messages.

D'autre part, après l'envoi électronique de la demande par le contribuable ou de la réponse de l'administration fiscale, les courriers électroniques peuvent aisément être modifiés de sorte qu'il ne soit pas possible de garantir la sincérité, l'exactitude et l'exhaustivité des informations transmises à l'administration fiscale sur lesquelles elle est amenée à se prononcer ou des courriers électroniques émis en réponse qui pourraient lui être opposés.

Enfin, les prises de position formelle de l'administration fiscale sont encadrées par des délais de réponse, avec, pour certains dispositifs, une acceptation implicite à défaut de réponse dans le délai fixé par la loi (cf. section 2 du Titre 2). En outre, la date précise de la réponse peut avoir une incidence notamment sur l'application dans le temps de la prise de position. Or, en l'absence de mécanisme automatique et sécurisé de datation et d'accusé réception, y compris en l'absence du destinataire (à la différence de la distribution postale), aucune garantie ne peut être apportée sur la date de la demande, le point de départ du délai de réponse en cas d'accord tacite et la date de la réponse de l'administration.

Ainsi, les courriels ne satisfont généralement pas les conditions d'opposabilité, en raison notamment :

- de leur caractère informel,

- de l'absence de mécanisme sécurisé d'identification, de signature, de datation et de preuve de réception électroniques dans le respect du secret fiscal,

- de l'absence de sécurisation de leur contenu.

42.Cela étant, l'opposabilité d'une prise position formelle notifiée à un contribuable par courrier électronique est admise si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :

- le contribuable établit la preuve de l'existence de la position formelle prise par courrier électronique ;

- le document produit est complet (avec notamment mention du nom, des fonctions et coordonnées de l'agent) et permet d'établir avec certitude le point de départ (date de la saisine) et l'expiration du délai de réponse ;

- la réponse ainsi faite satisfait l'ensemble des conditions permettant de caractériser sans équivoque une prise de position formelle (avec notamment le rappel des faits et du droit applicable et une prise de position explicite, précise et sans ambiguïté) ;

- la réalité et le contenu de celle-ci ne sont pas contestés par l'administration.

43.Dans le cadre du contrôle fiscal, les propositions de rectification ou les réponses aux observations du contribuable peuvent constituer des supports d'une prise de position formelle.

Ainsi, les rehaussements proposés par le vérificateur, ceux qu'il maintient et ceux qu'il abandonne à la suite de l'acceptation expresse des arguments du contribuable, formalisent des prises de position qui engagent l'administration dans les conditions prévues supra.

Sous certaines conditions définies au BOI 13 L-3-05 du 30 juillet 2005, l'administration peut par ailleurs prendre formellement position sur des points examinés en cours de vérification de comptabilité et qui n'ont pas donné lieu à des rectifications.

44.Quelle qu'en soit la forme, il appartient aux contribuables de prouver l'existence de l'interprétation formellement admise qu'ils invoquent.

5-2-2. Exposé exact de la situation personnelle du contribuable

45.Il faut que le contribuable soit de bonne foi, c'est-à-dire qu'il ait non seulement mis l'administration en état de se prononcer en pleine connaissance de cause sur la question clairement posée concernant sa situation actuelle, mais encore qu'il ait correctement appliqué la réponse qui lui a été notifiée par l'administration.

46.Cette double exigence implique d'abord, de la part du contribuable, un exposé complet, clair et sincère de la situation. En effet, les réponses écrites du service ne peuvent être opposées à ce dernier que dans la mesure où la situation réelle de l'auteur de la question correspond effectivement à celle qui a été exposée et n'a pas subi de changement.

La jurisprudence a clairement rappelé ces principes en considérant qu'un contribuable ne peut se prévaloir d'une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait, au sens de l'article L 80 B, dès lors que les faits revendiqués par le contribuable ayant entraîné la prise de position, sont différents de ceux revendiqués par la suite (CE, arrêt du 12 janvier 2005, n° 248627 et CE, arrêt du 20 décembre 2006, n° 289652).

47.En outre, les questions posées doivent se rapporter à la situation actuelle, personnelle et clairement précisée du contribuable qui a présenté la demande.

D'une part, l'interprétation dont le contribuable entend se prévaloir ne peut pas être étendue à d'autres situations que celles qu'elle vise ; ainsi, par exemple, l'interprétation qu'il invoque n'est opposable à l'administration que pour autant qu'elle concerne l'impôt contesté et, au sein de cet impôt, le même texte fiscal.

D'autre part, un contribuable ne peut revendiquer le bénéfice d'une interprétation formelle qui ne lui serait pas destinée, a fortiori lorsque la position prise est illégale.

L'application de cette dernière règle n'est nullement contraire aux principes d'égalité devant l'impôt (en ce sens CE du 20 octobre 2004 n° 249978, SA Ets François Meunier) et de non-discrimination.

Elle est en revanche essentielle pour assurer une juste mise en œuvre du principe de garantie contre les changements de doctrine. En effet, l'importance conférée par le législateur, par le biais des articles L 80 A et L 80 B, à l'impératif de sécurité juridique qui garantit au contribuable de bonne foi que le bénéfice d'une prise de position formelle de l'administration qui lui est adressée ne lui sera pas refusé rétroactivement, ne peut se faire au détriment du principe de légalité de l'impôt.

48.Enfin, il est bien évident que si la réponse faite par le service implique une régularisation de la situation du contribuable, celui-ci doit procéder spontanément à cette régularisation. S'il n'agissait pas ainsi, il ne pourrait plus être regardé comme étant de bonne foi et perdrait, par suite, le bénéfice des garanties attachées à ladite réponse.

D'une manière générale, la garantie prévue à l'article L 80 A ne peut être utilement invoquée que si le contribuable satisfait l'ensemble des conditions d'application de l'interprétation admise par l'administration appliquée dans sa rédaction littérale et dans tous ses termes portant sur un même objet.