SOUS-SECTION 2 QUALITÉ DE GÉRANT
II. Associé exerçant une activité ou des fonctions salariées dans l'entreprise
33Il est fréquent, dans les sociétés à responsabilité limitée que les associés exercent des fonctions salariées. Ces fonctions peuvent d'ailleurs être importantes pour la marche des affaires sociales.
34Lorsque les pouvoirs dont dispose à ce titre un associé excèdent les fonctions d'un collaborateur salarié et peuvent s'analyser en une intervention personnelle et constante dans la gestion même de la société, l'intéressé sera retenu comme un associé-gérant de fait en vue d'apprécier, si la gérance de ladite société est majoritaire.
Ont été ainsi considérés par le Conseil d'État comme gérants de fait :
35- l'associé directeur commercial de la société qui remplit également les fonctions de directeur technique, établit les prix de revient, détermine les conditions de ventes et de livraisons, conclut sous sa signature toutes les opérations avec les clients, accepte des traites et possède des procurations l'habilitant à effectuer toutes opérations bancaires au nom de la société (CE, arrêt du 4 janvier 1962 req. n° 53776, RO, p. 5) ;
36- un directeur commercial détenant 190 des 200 parts composant le capital d'une SARL, dès lors d'une part, qu'il dispose d'une procuration bancaire, d'autre part, qu'il assure la direction technique de la société et la représente à l'égard des tiers, ce qui lui confère des responsabilités excédant celles qui lui appartiennent dans l'exercice de ses fonctions de directeur commercial (CE, arrêt du 29 septembre 1989, req. n° 47026).
37- un associé de société à responsabilité limitée qui, en qualité de directeur commercial de l'entreprise, traite directement avec les fournisseurs et décide des achats sans en référer au gérant statutaire, détermine les prix de vente et conclut toutes opérations avec les clients, assure la gestion du personnel, dispose de la signature sociale pour le fonctionnement du compte courant postal de l'entreprise et a, en matière bancaire, le libre usage d'une griffe comportant la signature du gérant, alors d'ailleurs que ce dernier, qui consacre son activité à la conduite de plusieurs autres affaires, ne reçoit de l'entreprise en cause ni rémunération ni remboursement forfaitaire de frais (CE, arrêt du 20 décembre 1967 req. n° 71400 RO, p. 289).
38- deux associés possédant chacun le tiers du capital social, le dernier tiers étant détenu par le seul gérant statutaire dès lors :
. qu'ils s'occupent personnellement des affaires de la société et ont une influence réelle sur la marche de celle-ci :
. qu'ils peuvent à tout moment prendre connaissance des documents concernant la gestion ;
. qu'à défaut de pouvoir général, ils disposent d'une procuration bancaire ;
. que leur activité, bien qu'ils remplissent spécialement pour la société les fonctions de représentant de commerce, n'est ni celle de simples associés exerçant leurs droits généraux de contrôle reconnus par la loi, ni celle d'employés, mais en fait, celle de véritables gérants, étroitement associés à la direction de l'affaire ainsi que l'a reconnu de façon explicite l'assemblée générale de la société allouant des primes identiques aux trois associés désignés comme les « trois dirigeants de l'entreprise » ;
. que la rémunération des trois associés a toujours été sensiblement équivalente (CE, arrêt du 25 janvier 1961. req. n° 47574).
39- l'époux d'une associée dès lors que cumulant les fonctions de directeur administratif d'une société à responsabilité limitée et de directeur d'une branche de ladite société, il exerce, en réalité, des fonctions plus importantes que celles qui correspondent normalement à son emploi. Au cas particulier, l'intéressé participait étroitement à la direction de l'entreprise et exerçait un contrôle effectif sur sa marche en surveillant, notamment, l'ensemble des achats et des ventes ; il avait la possibilité d'emprunter auprès d'un établissement de crédit « telles sommes qu'il avisera sur tels titres qu'il déposera » ; il avait enfin reçu des rémunérations plus importantes que celles allouées à la gérante statutaire, sa belle-mère (CE, arrêt du 7 février 1958, req. n° 35819, RO, p. 47) ;
40- un associé qui exerce les fonctions de directeur technique dans la société et dispose en réalité de pouvoirs étendus pour la gestion même de celle-ci puisqu'il est titulaire d'une procuration bancaire l'autorisant à traiter des opérations dépassant les pouvoirs habituels d'un directeur salarié et a signé en qualité de gérant, à de nombreuses reprises, des lettres et documents destinés aux organismes de sécurité sociale et aux administrations financières (CE, arrêt du 8 mars 1963, req. n° 58170, RO, p 304) ;
41- l'associé qui, bien que n'ayant que la qualité de directeur commercial de l'affaire, a signé seul un contrat par lequel l'exploitation de spécialités pharmaceutiques appartenant à la société a été concédée à une autre entreprise. L'importance de cette décision, qui a rendu nécessaire un changement de l'objet social, suffit à elle seule à caractériser l'activité réelle au sein de l'entreprise de l'associé en cause, qui percevait au surplus des rémunérations supérieures de 30 % à celles du gérant statutaire (CE, arrêt du 28 octobre 1964, req. n° 55176, RO, p. 173) ;
42- l'associé qui, bien que chargé seulement des fonctions de « directeur-représentant » est habilité à agir au nom de la société auprès des établissements bancaires, perçoit une rémunération beaucoup plus importante que celle de la gérante statutaire, sa mère, âgée de 80 ans et résidant à près de 500 kilomètres du lieu du siège de l'entreprise, et accomplit un certain nombre d'actes caractérisant l'activité de gérant, notamment, l'exercice d'une action en justice et la conclusion d'un accord relatif à une indemnité de clientèle (CE, arrêt du 4 décembre 1974, req. n° 85245 et 85246, RJ-III, p. 197) ;
43- l'associé, conducteur de travaux, qui détient une participation égale à celle du gérant statutaire (99 des 200 parts composant le capital d'une SARL), dès lors :
. qu'il perçoit une rémunération identique à celle du gérant statutaire ;
. qu'il dispose de la signature sur le compte bancaire de la société et pour les déclarations fiscales de celle-ci ;
. que le siège social où sont reçus les clients et fournisseurs est fixé à son domicile personnel (CE, arrêt du 10 janvier 1990, req. n° 61989) ;
44- un associé qui exerce les fonctions de directeur technique dans la société et dispose en fait de pouvoirs excédant celles-ci dès lors qu'il est titulaire d'une délégation générale qu'il utilise fréquemment pour signer les chèques et souscrire les traites, qu'il engage et règle lui-même les dépenses liées au fonctionnement de l'entreprise et qu'il fixe les prix des prestations à la clientèle dont il est le seul interlocuteur habituel et permanent (CE, arrêt du 10 février 1993, req. n° 96400) ;
45Il convient de remarquer que dans les différentes hypothèses où la nature des pouvoirs exercés est caractéristique de la gérance de fait, il n'y a pas lieu de retenir la circonstance que les intéressés seraient reconnus comme salariés par la Sécurité sociale (CE, arrêt du 10 novembre 1958, req. n° 40787, RO. p. 242). De même, la position prise par les ASSEDIC ne saurait lier ni l'administration fiscale, ni le juge de l'impôt (CAA Bordeaux, arrêt du 26 juillet 1994, n° 92-636).
En sens contraire, la qualité de gérant de fait n'a pas été retenue dans les cas suivants :
46- pour chacun des trois associés d'une société à responsabilité limitée composée de quatre associés possédant chacun un même nombre de parts sociales et percevant des rémunérations équivalentes, mais dont un seul a la qualité de gérant statutaire, les trois autres associés qui sont employés dans l'entreprise comme ouvriers spécialisés, ne possédant pas la signature sociale et ne participant pas à la direction de l'affaire (CE, arrêt du 19 mai 1947, req. n° 78832, RO, p. 226) ;
47- pour l'associé qui occupe une fonction salariée d'une manière effective et permanente, ne perçoit d'autre rétribution que son salaire d'employé, ne possède pas la signature sociale et se borne à exercer les droits de contrôle reconnus à tout associé (CE, arrêt du 7 mars 1949, req. n° 92142, RO, p. 159) ;
48- pour l'associé majoritaire d'une société à responsabilité limitée composée de deux membres, chargé des fonctions de directeur commercial exclusives, d'après les statuts, « de tous actes généraux de gestion et de direction de la société », il a été jugé en l'espèce que, si l'intéressé a, en tant que seul propriétaire des locaux dans lesquels la société exerçait son activité, donné sa caution hypothécaire à un emprunt souscrit par cette dernière, cette circonstance, par sa nature comme par son caractère exceptionnel, n'a pu constituer une intervention dans la gestion de l'entreprise, alors qu'au surplus cet associé s'en est tenu à ses fonctions de directeur commercial avec une rémunération nettement inférieure à celle du gérant statutaire et sans s'immiscer, en fait, dans la gestion de l'entreprise (CE, arrêt du 5 juillet 1974, req. n° 81561, RJ-III, p. 148).
49- pour l'associé d'une SARL, alors même qu'il dispose d'une procuration sur le compte bancaire de l'entreprise, que sa rémunération en qualité de directeur commercial est supérieure à celle du gérant statutaire, qu'il a signé un courrier adressé à l'Administration fiscale et co-signé avec le gérant de droit la déclaration de résultats d'un exercice et qu'il aurait participé à l'embauche d'une partie du personnel, dès lors qu'il n'est pas établi que les attributions de l'intéressé au sein de la société sont de nature à l'associer à l'administration de celle-ci et à lui permettre d'exercer un contrôle effectif et constant sur sa gestion (CE, arrêt du 6 janvier 1989, req. n° 90195) ;
50- pour les associés d'une SARL même s'ils détiennent un nombre équivalent de parts sociales et perçoivent une rémunération comparable à celle du gérant statutaire, dès lors qu'ils exercent respectivement au sein de la société des fonctions spécifiques et distinctes de sa gestion (CE, arrêt du 17 mai 1989, req. n° 76276) ;
51- pour une caissière, associée à 50 % d'une SARL qui n'utilise la procuration bancaire dont elle dispose que pour des dépôts de chèques et qui ne participe pas par des actes importants à la gestion effective de l'entreprise, nonobstant un faible intéressement au chiffre d'affaires (CE, arrêt du 29 septembre 1989, req. n° 78070) ;
52- pour l'associé directeur commercial qui perçoit une rémunération égale à celle du gérant statutaire mais ne dispose pas de procuration bancaire, ne signe pas les déclarations fiscales et n'effectue aucun acte révélant une intervention habituelle dans la gestion courante (CAA Bordeaux, arrêt du 26 juillet 1994, n° 92-636).
III. Associé ancien propriétaire de l'entreprise ou ancien gérant
53L'associé qui, antérieurement à la création d'une société à responsabilité limitée, a été propriétaire de l'entreprise apportée à ladite société, ou a été membre d'une société en nom collectif dont la transformation a donné naissance à la société à responsabilité limitée, ou qui, depuis la création de cette dernière, a exercé un temps les fonctions de gérant statutaire, ne peut être considéré comme un gérant de fait à raison de ces seules circonstances.
Toutefois, dans ces différentes hypothèses, il y a lieu de vérifier d'une manière toute particulière si l'intéressé, de par son rôle passé, ne participe pas effectivement à la gestion ou n'est pas étroitement associé à la direction de l'affaire.
Le Conseil d'État a ainsi considéré comme gérant de fait :
54- un contribuable qui, dans le but d'exploiter l'entreprise qu'il a créée et dont il était seul propriétaire, a constitué une société à responsabilité limitée avec son beau-frère, lequel, d'après les statuts, est seul gérant, dès lors que, ayant donné son nom à la raison sociale et détenant la majorité des parts sociales, il est investi d'un mandat du gérant statutaire, perçoit des rémunérations égales à celles de ce dernier et se trouve étroitement associé à la direction de l'entreprise (CE, arrêt du 12 janvier 1940, req. n° 62223, RO, p. 8) ;
55- un associé détenant 85 % des parts d'une SARL issue d'une société en nom collectif dont il avait été le fondateur et le cogérant, dès lors que l'intéressé avait continué en qualité de directeur ou de conseiller technique d'être étroitement associé à la direction de l'entreprise et d'exercer un contrôle effectif et constant sur la marche commerciale de la société (CE, arrêt du 2 mai 1941, req. n° 58710, RO, p.125) ;
56- un ancien associé gérant d'une société à responsabilité limitée qui, nommé surveillant général par une délibération de l'assemblée générale extraordinaire, continue, en cette nouvelle qualité, à percevoir les mêmes appointements qu'auparavant et à s'occuper, concurremment avec les deux autres associés -ses fils- nommément désignés comme gérants, de toutes les opérations se rattachant à l'objet de la société (CE, arrêt du 29 novembre 1937, req. n° 57204, RO, p. 674) ;
57- un associé ancien gérant qui, collaborant activement et quotidiennement avec le gérant statutaire à la gestion de l'affaire, participe étroitement à sa direction et à son contrôle, du fait :
. d'une part, qu'il détient des pouvoirs étendus pour diriger les fabrications, nommer ou révoquer le personnel, user des comptes bancaires ou de chèques postaux ouverts au nom de la société, visiter la clientèle et signer la correspondance ;
. d'autre part, qu'il exerce également les fonctions de gérant de deux autres sociétés à responsabilité limitée ayant leur siège au siège même de la première et qui ont pour objet d'écouler une partie importante de sa production (CE, arrêt du 10 novembre 1958, req. n° 40787, RO, p. 242) ;
58- un associé majoritaire qui, ayant été désigné comme directeur commercial, a été remplacé dans ses fonctions de gérant statutaire par son fils, associé minoritaire, dès lors que toutes les décisions importantes excédant les limites de la vie sociale courante doivent relever de l'ensemble des associés et que l'intéressé, qui a perçu une rémunération double de celle de son fils, a continué à prendre une part importante à la gestion de la société (CE, arrêt du 24 janvier 1966, req. n° 64174. RO, p. 33) ;
59- un associé de société à responsabilité limitée détenant la moitié du capital social, lequel est réputé appartenir à un collège de gérance majoritaire dès lors :
. qu'ancien exploitant du fonds, il en conservait la propriété, ainsi que celle du matériel et des immeubles affectés à l'exploitation ;
. qu'il avait le titre de directeur technique et percevait des appointements voisins de ceux du gérant statutaire ;
. qu'il a disposé de la signature sociale concurremment avec le gérant statutaire ;
. qu'en pratique, son épouse tenait la comptabilité et signait les chèques au nom de la société (CE, arrêt du 26 juillet 1982. n° 20977).
60Inversement, la qualité de gérant de fait n'a pas été reconnue à un associé qui possédait la majorité des parts de la société ayant succédé à l'entreprise dont il était l'ancien propriétaire, exerçait dans ladite société les fonctions de directeur technique, à raison desquelles il percevait une rémunération supérieure à celle du gérant, dès lors qu'il n'était pas établi que l'intéressé ait été associé en fait à la direction de l'entreprise, qu'il ait pu engager la société, ou ait exercé un contrôle effectif et constant sur sa marche commerciale (CE, arrêt du 26 février 1964, req. n° 53535)
61Dans le même sens, n'a pas été considéré comme un gérant de fait un associé, ancien gérant statutaire, qui détenait la moitié des parts et percevait une rémunération identique à celle de l'associé gérant dès lors que, détenant une procuration bancaire, il n'en avait fait qu'un usage restreint, qu'il ne disposait d'aucun mandat général d'agir pour le compte de la société et que, désormais doté de pouvoirs de contrôle, ces derniers n'excédaient pas ceux qui peuvent être normalement réservés à l'assemblée générale dans une entreprise de modeste importance ne comportant que deux associés (CE, arrêt du 5 février 1969, req. n° 72310).