SOUS-SECTION 3 PRESTATIONS DE SERVICES
E. POURBOIRES 1
I. Le principe : imposition des pourboires à la TVA
31En application des dispositions des articles 266-1-a et 267-I du CGI, la base d'imposition à la TVA est constituée pour les prestations de services, par le prix total payé par le client en contrepartie des services qui lui sont rendus. Ces prix s'entendent tous frais, taxes et prélèvements de toute nature compris à l'exclusion de la TVA elle-même.
La base d'imposition à la TVA englobe donc tous les compléments de prix que l'acquéreur acquitte à des titres divers, y compris les frais qu'il règle à d'autres personnes que le prestataire lui-même, dès lors qu'ils se rattachent, en fait, au contrat conclu avec ce dernier.
Selon une doctrine constante de l'administration, les majorations de prix réclamées au titre du pourboire à la clientèle des entreprises commerciales (exemples : hôtels, restaurants, cafés, brasseries, bars, salons de thé, salons de coiffure, cliniques, établissements thermaux, entreprises de transport ou de déménagement, maisons de repos ou de retraite, casinos, entreprises livrant à domicile des produits de toute nature) constituent un élément du prix à soumettre à la TVA.
En effet, un chef d'entreprise est tenu de rémunérer le personnel qui travaille sous sa dépendance et pour son compte. Le système du pourboire s'analyse, dès lors, comme un moyen pour l'employeur de réduire ses frais d'exploitation en faisant supporter par ses clients la charge d'une dette qui lui incombe en propre au regard de la législation sociale. Il convient donc de considérer que les pourboires transitent dans la comptabilité de l'exploitant, même si ce dernier ne les encaisse pas effectivement et qu'il lui appartient d'évaluer, sous sa responsabilité, et sous réserve des droits de contrôle du service des impôts, le montant des pourboires perçus par les membres de son personnel et de le faire figurer dans ses écritures comptables.
Pour les établissements où les pourboires sont incorporés dans les prix réclamés aux consommateurs ou leur sont facturés à part, la base d'imposition à la TVA est évidemment constituée par la recette totale, à l'exclusion de la taxe elle-même, mais y compris le montant du service. Lorsque le pourboire est laissé à l'appréciation de la clientèle, le pourcentage de majoration des recettes au titre du service peut varier de 10 à 15 % selon les établissements ; il doit donc donner lieu à une appréciation cas par cas.
La doctrine administrative s'appuie sur une abondante jurisprudence du Conseil d'État. Parmi les arrêts intervenus en la matière, on peut citer ceux du 14 février 1973 (req. n° 82492, salon de coiffure Joray), du 21 mars 1973 (req. n° 86181, X... et n° 86182, restaurant Aron), du 28 mars 1973 (req. n° 80027, X... ) et du 30 janvier 1976 (req. n° 97401, SA « Les deux hémisphères »).
Dans cette dernière espèce, la Haute Assemblée a jugé que lorsqu'un prestataire de services exploite un établissement où est en usage la pratique selon laquelle le « service » n'est pas compris dans les factures établies par l'entreprise mais est versé directement « sous le nom de pourboire » par chaque client au personnel qui le sert, le montant de ce pourboire constitue, pour les clients, une somme supplémentaire déboursée en contrepartie de la prestation de services qu'ils reçoivent et, pour l'entreprise, une ressource qui s'ajoute aux sommes facturées et au moyen de laquelle sont payés, en tout ou partie les salaires dus au personnel.
De la même façon, les suppléments pour colis, les prises en charge dans les gares et les pourboires perçus par les conducteurs de taxis salariés doivent donc être inclus dans la base d'imposition à la TVA de l'entreprise qui les emploie lorsqu'existe dans la région en cause, l'usage de pratiquer ce versement. La circonstance que la réglementation interdise aux conducteurs de solliciter des pourboires est sans influence sur ce principe dès lors qu'elle n'en a pas fait disparaître la pratique et qu'en l'absence d'une interdiction d'accepter toutes gratifications, cette réglementation n'a pas pour effet de modifier la nature des sommes au regard de la TVA.
Il convient de faire application des principes énoncés même dans les cas, où le montant des pourboires étant suffisant pour assurer la rémunération des employés, lé chef d'entreprise est amené à le compléter à due concurrence par des prélèvements opérés sur sa recette hors « service ».
Par contre, ne sont pas à comprendre dans le chiffre d'affaires taxable les sommes (simples gratifications ou « super pourboires ») que les clients versent spontanément en témoignage de leur satisfaction, aux employés d'une entreprise où le « service » est déjà incorporé dans les prix facturés à condition que ces sommes, d'un montant d'ailleurs extrêmement variable et généralement modique par rapport au prix de la prestation principale, ne jouent absolument pas le rôle de salaire ou de complément de salaire au regard de la législation du travail et de la Sécurité sociale.
II. La mesure de tolérance administrative : exclusion de la base d'imposition
32 L'Administration a admis depuis 1928 que l'employeur soit dispensé d'acquitter les taxes sur le chiffre d'affaires sur les sommes versées pour le « service » lorsque trois conditions sont simultanément réunies :
1. Le client est préalablement informé de l'existence d'un prélèvement présentant le caractère d'un pourboire et de son pourcentage par rapport au prix « service non compris ».
2. Les pourboires sont intégralement répartis entre les membres du personnel en contact direct avec la clientèle.
3. Ce versement est justifié par la tenue d'un registre spécial émargé par chacun des bénéficiaires, ou, tout au moins, par un représentant du personnel.
Le respect d'une quatrième condition a été exigé à compter du 1er janvier 1977 : la déclaration annuelle des salaires déposés par l'employeur doit faire apparaître le montant de la rémunération effectivement perçue par le personnel rémunéré au pourboire.
1. Première condition : information de la clientèle.
33 Lorsque les clients ne sont pas informés, soit par une mention sur leurs notes des sommes prélevées à titre de pourboire obligatoire, soit par une indication sur les tarifs ou sur ces notes que les prix facturés comprennent « le service », les sommes prélevées sur les recettes pour être remises au personnel ne peuvent être considérées autrement que comme des salaires dont la charge incombe à l'employeur. À ce titre et s'agissant des frais généraux d'exploitation, il ne saurait être question d'autoriser la déduction du montant des recettes imposables à la TVA de tout ou partie des sommes ainsi remises au personnel, quand bien même il serait justifié de cette remise.
Il est indispensable, pour que la déduction puisse être effectuée, que les clients connaissent la quote-part des pourboires ou le pourcentage du « service », ajoutés aux notes ou incorporés dans les prix facturés et on ne saurait admettre que toute trace de ces pourboires soit systématiquement exclue des notes, celles-ci devant au minimum comporter la mention " service X % compris " .
Il en résulte que sont, en tout état de cause, exclus du bénéfice de la tolérance administrative les établissements qui pratiquent des prix « nets » ou « tout compris » sans aucune indication de l'incidence du service ainsi que ceux où le service est « laissé à l'appréciation de la clientèle ».
2. Deuxième condition : répartition intégrale des pourboires entre les membres du personnel en contact direct avec la clientèle.
34 L'attribution d'une partie aussi réduite soit-elle des pourboires à d'autres personnes que les employés en contact direct avec la clientèle, devrait entraîner automatiquement l'exclusion du bénéfice de la tolérance administrative.
Cependant, l'Administration a accepté 2 de considérer que si une partie des pourboires est retenue au profit du personnel qui n'est pas en rapport direct avec la clientèle, seules les sommes en question sont à réintégrer dans la base d'imposition à la TVA.
De même, lorsque le chef d'entreprise ou des membres de sa famille (parents en ligne directe : enfants, parents, grands-parents), frères et soeurs ainsi que les conjoints) reçoivent une rémunération à l'occasion de leur propre travail, ces sommes constituent des recettes d'exploitation à soumettre à la TVA, mais leur perception n'entraîne pas la perte du bénéfice du régime particulier pour les autres pourboires perçus dans l'établissement.
Mais le bénéfice de cette mesure très bienveillante ne saurait être étendu au cas où des prélèvements sur la masse des pourboires sont, pour quelque autre motif que ce soit, opérés par des dirigeants de l'entreprise. Lorsqu'une telle éventualité se produit, la totalité des pourboires doit être comprise dans la base d'imposition.
Ainsi le Conseil d'État a jugé qu'un contribuable n'est pas fondé, pour échapper à l'imposition, à se prévaloir de la tolérance administrative en matière de pourboires dès lors que l'une des conditions fixées par celle-ci n'est pas remplie ; au cas particulier, la société ne procédait pas à la répartition intégrale et systématique des pourboires, mais n'en distribuait qu'une fraction et reportait l'excédent sur les mois suivants afin de garantir une rémunération minimum à ses employés (CE, arrêt du 14 janvier 1983, req. n° 25251).
3. Troisième condition : tenue d'un registre spécial d'émargement.
35 Il convient d'observer, à ce sujet, que dès l'origine, la tolérance administrative avait pour principal objet de permettre de contrôler l'affectation réelle des pourboires en exigeant la tenue d'un registre spécial mentionnant, jour par jour, non seulement les sommes perçues globalement dans l'entreprise au titre des pourboires obligatoires (entrées), mais encore le montant dûment émargé des sommes perçues par chacun des employés bénéficiaires (sorties).
Il est donc indispensable que le registre de répartition mentionne le montant individuel des pourboires reversés à chacun des bénéficiaires et l'identité des parties prenantes.
Le registre des pourboires peut être émargé, lors de chaque répartition, par le délégué du personnel. Par contre, lorsqu'il n'existe pas de délégué ou lorsque le personnel n'a pu se mettre d'accord à ce sujet, il doit être émargé par chacun des ayants droit.
Sur ce dernier point, le Conseil d'État a jugé que le fait que le registre spécial d'émargement soit signé alternativement par les deux serveurs composant le personnel bénéficiaire de pourboires, n'était pas, eu égard aux circonstances, de nature à priver l'entreprise du bénéfice de la tolérance administrative prévoyant leur exonération (CE, arrêt du 25 janvier 1984, req. n° 27604).
Enfin, le registre doit, en principe, être tenu par l'employeur à l'exclusion de toute autre personne.
Toutefois, pour tenir compte de certaines pratiques de la profession, il a été admis que la comptabilisation des pourboires puisse être effectuée sur deux registres distincts mais complémentaires :
- un registre centralisateur tenu par l'employeur et comportant l'indication des sommes revenant globalement par période au personnel et la signature du délégué du personnel (entrées) ;
- un registre détaillé tenu par le délégué du personnel, mais sous la responsabilité de l'employeur, et mentionnant les sommes reçues par les différents ayants droit nommément désignés (sorties).
Il va de soi que les employeurs doivent :
- établir correctement le registre centralisateur des sommes exactes à répartir et veiller à la bonne tenue du registre détaillé ;
- présenter les deux registres à toute réquisition des agents habilités à contrôler leur comptabilité et notamment de ceux appartenant à la Direction générale des impôts.
L'exploitant d'un établissement ne saurait, pour échapper à ses obligations fiscales (et sociales), prétendre ignorer les modalités particulières de rémunération de ses propres employés. En particulier, un hôtelier, un restaurateur ou un cafetier qui se contenterait de justifier du montant global des pourboires perçus dans son établissement et laisserait l'entière responsabilité de leur répartition individuelle à un représentant du personnel ne serait pas fondé à en distraire le montant de la base d'imposition à la TVA.
4. Quatrième condition : déclaration du montant réel des pourboires versés.
36 Cette condition supplémentaire a été introduite par une décision ministérielle en date du 29 septembre 1976 aux termes de laquelle, à compter du 1er janvier 1977, le bénéfice de la tolérance administrative est subordonné à la mention par l'employeur, sur la déclaration annuelle des salaires, du montant des sommes effectivement perçues par les membres du personnel rémunérés « au pourboire ».
La déclaration annuelle en cause doit comporter des mentions différentes selon que le montant du pourboire est laissé à l'appréciation de la clientèle et encaissé directement par le personnel ou facturé distinctement et perçu par l'employeur, à charge pour lui de le répartir entre les différents bénéficiaires.
a. Le pourboire est laissé à l'appréciation de la clientèle.
N'ayant pas connaissance du montant exact des sommes perçues par ses employés, l'employeur ne peut donc le porter sur la déclaration annuelle des salaires. Cette dernière doit faire état du forfait (salaire minimum garanti fixé par la convention collective se rapportant à la profession considérée) qui, en application de l'article 52 de l'annexe III au CGI, est utilisé pour l'assiette des taxes et participations assises, sur les salaires. Elle doit porter, en outre, la mention « pourboire » au regard de cette rémunération forfaitaire.
Cette pratique ne dispense pas le salarié de mentionner dans sa déclaration annuelle de revenus le montant exact de sa rémunération.
b. Le pourboire est facturé distinctement.
Ayant connaissance des sommes revenant à chacun de leurs salariés, les employeurs sont autorisés à ne pas comprendre ces sommes dans les recettes soumises à la TVA à la condition, notamment, de tenir un registre de répartition des pourboires faisant état des répartitions individuelles.
Ils auraient dû, en principe, indiquer sur la déclaration annuelle des salaires le montant des sommes effectivement perçues par les employés, mais se sont souvent bornés à y porter des sommes forfaitaires comme dans la situation évoquée ci-dessus (cf. a).
La déclaration annuelle de salaires par l'employeur doit faire apparaître le montant de la rémunération effectivement perçue par chaque personne rémunérée au pourboire. Le non-respect de cette prescription entraîne automatiquement l'inclusion des sommes en cause dans la base d'imposition.
En conséquence, lorsqu'une déclaration de salaires se rapportant à du personnel payé au pourboire fait état de sommes forfaitaires, il convient de s'enquérir auprès de l'employeur du mode de perception du service. Si ce dernier est facturé distinctement, il y a lieu :
- d'inviter l'employeur à souscrire une déclaration de salaires rectificative ;
- d'informer le service chargé de l'assiette de la TVA de cette situation et, le cas échéant, de la date à laquelle la déclaration rectificative a été souscrite.
Il est précisé, en outre, que les taxes et participations assises sur les salaires dont l'employeur peut être redevable continuent à être calculées sur les bases forfaitaires définies par l'article 52 de l'annexe III au CGI. Ce sont donc ces bases qui devront figurer sur les déclarations spéciales se rapportant aux diverses taxes et participations dont il s'agit.
Les dispositions qui précédent sont applicables aux pourboires versés au personnel en contact avec les joueurs dans les casinos.
Lorsque les quatre conditions examinées ci-dessus sont remplies, les pourboires versés à leur personnel par les hôteliers, restaurateurs, casinos, etc., n'ont pas à être pris en compte pour le calcul du pourcentage de déduction propre à la TVA, ni par voie de conséquence, pour celui du pourcentage d'assujettissement à la taxe sur les salaires (RM Lataillade, JO, déb. AN du 11 février 1980, p. 498, n° 24595).
L'obligation faite aux établissements servant des repas, denrées ou boisssons à consommer sur place par l'arrêté du 27 mars 1987, d'afficher leur prix « service compris » ne remet pas en cause « l'exonération » de TVA accordée aux pourboires, lorsque les conditions posées pour bénéficier de cette règle continuent d'être réunies.
1 Les termes de « pourboires » ou de « service » sont utilisés indifféremment pour désigner le même type de majoration du prix de la prestation.
2 À l'occasion d'affaires contentieuses concernant les casinos (cf. notamment CE. arrêt du 17 février 1969, Société fermière des casinos de Nice).