SOUS-SECTION 2 EXCEPTIONS ET AUTRES INCIDENTS
VI. Question préjudicielle (ou exception préjudicielle)
43Les exceptions préjudicielles sont des points particuliers de droit, de nature extra-pénale, à la solution desquels est subordonné le règlement d'un procès pénal.
Chaque question préjudicielle oblige, en principe, le tribunal à surseoir à statuer jusqu'à ce que celle-ci ait été soumise à la juridiction compétente qui rendra à son sujet un acte de juridiction.
La question préjudicielle peut être soulevée à propos d'une infraction, afin de vérifier un fait d'ordre juridique dont l'existence rend impossible cette infraction ou en change le caractère. Le tribunal ne peut statuer sans qu'elle ait été préalablement tranchée.
En un sens plus étroit, la question préjudicielle fait l'objet d'un renvoi devant une juridiction compétente pour la résoudre avant que le tribunal ne commence ou ne continue l'examen de l'affaire contentieuse.
Cette exception préjudicielle au jugement répressif déroge à la règle normale « le juge de l'action est le juge de l'exception » (Code de Proc. pén., art. 384).
Cette exception, qui rend le tribunal correctionnel incompétent, lorsque celui-ci est saisi par voie principale, ne s'applique pas, -sauf dans des cas nettement déterminés (question de propriété immobilière par exemple)- lorsqu'il par voie principale, peut, en revanche, statuer sur toutes les questions de nature civile qui s'élèvent accessoirement à la poursuite, à moins que la loi n'en dispose autrement.
Le tribunal correctionnel. juge de l'action, l'est également des exceptions soulevées, quand bien même celles-ci porteraient sur le fond des droits (cf. arrêt précité, Cass. crim., 26 avril 1951. RJCI 13, p. 29 ; E 3352, 32).
Dans le cas où une affaire est pendante devant le tribunal de grande instance statuant au civil, le jugecorrectionnel ne peut refuser de statuer en attendant la décision.
Jugé que lorsqu'un procès-verbal a été dressé pour contravention en matière de contributions indirectes, ce procès-verbal, base de la poursuite, détermine la compétence du tribunal correctionnel et le constitue définitivement juge tant de l'action que des exceptions qui s'y rattachent. Il en résulte que si l'Administration poursuit pour obtenir payementdes droits éludés du fait de la contravention et si le contrevenant conteste postérieurement à la déclaration du procès-verbal, le tribunal saisi de la poursuite correctionnelle ne peut décider qu'il sera sursis à statuer jusqu'à décision dutribunal de grande instance statuant au civil sur l'exigibilité des droits, ni en se fondant sur l'article 88 de la loi du 5 ventôse an XII [CGI, art. 1947-2) 1 qui décide que la juridiction civile est seule compétente pour statuer sur un litigetouchant au fond des droits, ni en se fondant sur les principes de la litispendance, qui ne peuvent trouver leur application dans l'espèce (TGJ, Poursuites correctionnelles n° 95 ; Cass. crim., 3 janvier 1935, BCI 10, Bull. crim. 2).
Les exceptions préjudicielles, limitées aux cas prévus par la loi, sont présentées avant toute défense au fond (Code de Proc. pén., art. 386).
1. Questions préjudicielles de nature civile
44 Exception préjudicielle de propriété immobilière et de droit réel immobilier (ode de Proc. pén., art. 384).
Il y a exception préjudicielle lorsque la question soulevée est une question de propriété immobilière.
Ainsi il a été jugé que lorsqu'un individu trouvé détenteur dans sa propriété de tabacs de fraude prétend que le sol où ont été découverts ces tabacs ne lui appartient pas, le juge correctionnel doit renvoyer le prévenu à faire juger au civil cette question préjudicielle de propriété en fixant le délai dans lequel la juridiction civile devra être saisie et en appréciant les preuves produites de part et d'autre (TGJ, Tabacs n° 54 ; Cass. crim., 18 février 1897, BCI 18, Bull. crim. 59).
Exception de nationalité (Code de la nationalité française, art. 124).
La juridiction civile de droit commun est compétente de façon exclusive pour connaître des contestations sur la nationalité. La question de nationalité est donc préjudicielle devant toutes les juridictions pénales.
2. Question préjudicielle de nature pénale
45 Exception de faux (Code de Proc. pén., art. 646, Nouveau Code pénal, art. 442-1 et s., 444-1 et s.)
C'est le cas lorsqu'il est produit pour la preuve d'une infraction un écrit argué de faux dont l'auteur est vivant.
Jugé que : uand un procès-erbal relève, en même temps qu'une contravention fiscale, que l'expédition de la régie, base de la poursuite a été altérée, comme l'existence de cette contravention dépend de la question de savoir si oui ou non le titre de régie a été altéré, le tribunal ou la cour saisie doit préalablement décider, dans les conditions fixées par l'article 460 du CIC 2 (actuellement Code de Proc. pén " art. 646) s'il y a lieu ou non de surseoir à la poursuite de la contravention fiscale (TGI Titres de mouvement n° 97 ; Cass. crim., 25 mars 1897, BCI 13, Bull crim. 105).
Exception de dénonciation calomnieuse (nouveau Code pénale, art. 226-10 à 226-12) : loi du 8 octobre 1943, validée par ordon. du 28 juin 1945) ou de diffamation (art. 35 de la loi du 29 juillet 1881).
3. Question préjudicielle de nature administrative.
46Application du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires (Tribunal des conflits, 5 juillet 1951, JCP 1954, II 6623, S. 1952, 3, 1, D. 1952, 271).
Les questions de droit administratif soulevées incidemment au cours d'un procès pénal constituent des exceptions préjudicielles de la compétence exclusive des autorités ou juridictions administratives, sauf disposition légale expresse.
4. Interprétation des traités internationaux.
47Il est généralement admis que le droit d'interpréter les traités internationaux -tout au moins lorsqu'il s'agit de fixer le sens et la portée d'une convention diplomatique sur les points qui touchent au droit des gens et à l'ordre public- appartient seulement au Gouvernement : le tribunal correctionnel doit donc surseoir à statuer jusqu'à ce que 'interprétation ait été donnée par le ministre des Affaires étrangères. (Cass. crim., 24 mars 1953 (2 arrêts) D. 1953-365 ; JCP 1953, II, 7659 ; Cass. crim., 9 mai 1972, Bull. crim. 159 ; Cass. crim., 29 juin 1972, Bull. crim. 226 et 227, JCP 1973, II, 457 ; Cass. crim., 4 décembre 1975, D. 1976, p, 19 ; Cass. crim., 30 juin 1976, D. 1977, 1 ; Cass. crim., 1er mars 1977, D. 1977, 186).
VII. Constitution de partie civile
(syndicats professionnels ou associations)
1. Fondement du droit d'intervention des syndicats professionnels ou associations (art. L. 233 du Livre des procédures fiscales, Code du Travail, art. 411-11 ; loi du 1er juillet 1901, art. 6).
48L'action fiscale confiée par la loi à l'administration des Impôts constitue une action pour l'application des peines fiscales (Code de Proc. pén., art. 1er).
Une action civile peut être exercée par une tierce personne lésée par l'infraction en même temps que l'action fiscale et devant la même juridiction (Code de Proc. pén., art. 3).
L'intervention d'une tierce personne, lésée par l'infraction, comme partie civile, peut avoir lieu, aussi bien quand l'infraction est une contravention purement fiscale poursuivie par l'Administration seule (Cass. crim., 9 mars 1925, BCI 11) que s'il s'agit de faits constituant à la fois une infraction de droit commun et une infraction fiscale, poursuivis par le Parquet, l'Administration étant également partie intervenante (Code de Proc. pén., art. 1 à 3).
Indépendamment des textes généraux visés ci-dessus, des dispositions spéciales accordent à des syndicats ou associations le droit d'intervention dans des poursuites pénales :
- loi du 5 août 1908, art. 2, complétant, par un article additionnel, la loi du 1er août 1905. Syndicats formés pour la défense des intérêts généraux de l'agriculture ou de la viticulture ;
2. Conditions du droit d'intervention
a. Principes
1 ° Syndicats
49Actuellement, conformément à l'article L. 411-11 du Code du travail et à une jurisprudence constante, les syndicats professionnels peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
L'intérêt collectif doit être distingué de l'intérêt individuel des membres du syndicat, ne serait-ce que par le fait qu'il n'est pas constitué par la somme des intérêts particuliers des adhérents.
En cela, l'action civile des syndicats diffère profondément de l'action civile ouverte aux simples particuliers qui doivent justifier d'un préjudice personnel et direct,
2° Associations
50En l'absence d'une disposition légale, comme celle édictée par l'article L. 411-11 précité du Code du Travail pour les syndicats professionnels, la jurisprudence criminelle se montre très rigoureuse pour accueillir l'action civile des associations dont le droit d'ester en justice résulte d'une façon générale de l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901.
Celle-ci rejette en effet la demande des associations, soit pour défaut de préjudice personnel et direct, soit que le préjudice invoqué n'est pas distinct du préjudice social, dont il appartient au ministère public seul de poursuivre la réparation.
b. Jurisprudence
1 ° Syndicats
51Existence d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession représentée (Code du Travail, art L. 411-11).
• Des syndicats professionnels sont fondés à intervenir, à titre de partie civile, dans une instance à fins fiscales et à réclamer des dommages-intérêts pour atteinte portée aux intérêts collectifs des professionnels qu'ils représentent.
L'existence du préjudice ainsi causé peut résulter de cette double constatation, d'une part, que le délinquant étant l'un des membres des syndicats intervenants, les infractions fiscales retenues à sa charge ont eu pour résultat évident de porter atteinte à la réputation d'honorabilité qui doit être la règle de tous les membres d'une association syndicale, et, d'autre part, qu'en se dérobant par la fraude au paiement de partie des droits élevés, le contrevenant a été à même de réaliser des bénéfices importants lui permettant de donner sa marchandise à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les autres négociants et de provoquer une baisse des cours par concurrence déloyale ( TGJ Syndicats (intervention) n° 9 ; Cass. crim., 4 avril 1925, BCI 11).
• Caractérise la nature du préjudice dont il accorde réparation à un syndicat professionnel, l'arrêt qui énonce qu'en trompant le fisc, les prévenus ont également causé un préjudice aux intérêts de la profession représentée dans la région par ce syndicat (Cass. crim, 26 mars 1974, RJ n° 1, p. 54).
• Est déclarée, à bon droit, recevable l'intervention de la Chambre syndicale des débitants de boissons d'une ville, dans une poursuite correctionnelle intentée contre un prévenu pour ouverture illicite d'un débit de boissons, cette intervention puisant son fondement tant sur le discrédit pouvant résulter pour la profession des agissements délictueux du contrevenant, que de la concurrence illégale faite par celui-ci à tous les membres du syndicat (TGJ, Syndicats (intervention) n° 17 ; Cass. crim., 4 mars 1942, RJCI 1944, n° 1).
• Dès lors qu'aux termes de l'article 11 du Livre III 3 du Code du Travail, les syndicats professionnels peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux infractions qui portent un préjudice direct ou indirect à la profession qu'ils représentent, c'est à tort que, pour débouter un tel organisme de sa demande une cour d'appel se borne à énoncer que la partie civile ne justifie pas d'un préjudice direct et personnel (Cass. crim., 11 janvier 1967, RJCI partie, p. 5).
• Aux termes de l'article L.233 du LPF 4 , les syndicats et organismes professionnels ou interprofessionnels sont habilités à exercer les droits réservés à la partie civile dans les poursuites déjà exercées sur la plainte des administrations fiscales et chaque fois que l'Administration exerce directement des poursuites correctionelles pour infraction au code susvisé.
Justifie, dès lors, la condamnation solidaire de deux prévenus à des dommages-intérêts envers la Fédération nationale des producteurs de vin de consommation courante l'arrêt qui, après avoir déclaré recevable la constitution de partie civile de cet organisme, énonce que le préjudice résulte de la commercialisation, au détriment de vins loyaux et marchands, de vins qui ne pouvaient avoir d'autre destination que la distillerie ou la vinaigrerie (Cass. crim., 17 juillet 1968, RJCI 2e semestre, 1er partie, p. 67).
52Absence de préjudice direct ou indirect caractérisé à l'intérêt collectif de la profession représentée.
La constitution de partie civile n'est admise que si un préjudice aux intérêts de la profession représentée par le syndicat « est suffisamment caractérisé ».
Jugé que :
- si un organisme professionnel est habilité à exercer les droits réservés à la partie civile, dans les conditions requises par l'article 1744 du CGI, encore faut-il, pour que sa constitution soit recevable, que l'infraction fiscale retenue à la charge des prévenus ait porté préjudice à l'intérêt collectif de la profession.
A cet égard, une fédération de producteurs de vins ne saurait souffrir un préjudice en raison d'une infraction d'expédition et de transport de sucre sans titre de mouvement (Cass. crim., 5 février 1975, RJ n° 1, p. 41) ;
- si, aux termes de l'article 11 du Livre III du Code du Travail (actuellement art. L. 411-11 dudit code) les syndicats professionnels peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile, c'est à la condition qu'il soit justifié d'un préjudice collectif et professionnel, fût-il simplement moral, susceptible d'être causé à leurs adhérents par les faits retenus par la prévention ; la simple affirmation de l'existence d'un préjudice ne suffirait pas à apporter une telle justification (Cass. crim., 19 février 1969, RJCI n° 1, 1ère partie, p. 37) ;
- si un syndicat est habilité par l'article 2 du Livre III 5 du Code du Travail à exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, il ne tient d'aucune disposition de la loi le droit de poursuivre la réparation du trouble que porte une infraction aux intérêts généraux de la société, cette réparation étant assurée par l'exercice même de l'action publique.
C'est, dès lors, à bon droit qu'une cour d'appel écarte la constitution de partie civile d'un syndicat des agents des Impôts dans les poursuites exercées contre un prévenu du chef d'outrages à citoyen chargé d'un ministère de service public (TGJ, Syndicats (intervention) n° 19 renvoi à opposition à fonctions n° 13 ; Cass. crim., 13 mai 1958, RJCI 1958, n° 51, p. 132 ; Bull. crim. 375, p. 666).
- de même ne peut être reçue l'intervention d'un syndicat n'ayant pas justifié d'un préjudice personnel ni d'un préjudice indirect du fait de la fraude commise (TGJ, Syndicats (intervention) n° 20 ; Cass. crim., 5 février 1959, RJCI 1959, n° 17, p. 40 ; Bull. crim. 87, p. 165).
Sur ce dernier point deux arrêts ont été rendus le même jour par la chambre criminelle ( TGJ, Fraudes commerciales, n° 47 : Cass. crim., 5 février 1959, RJCI 18, Bull. crim. 86, p. 159 ; n° 48 : Cass. crim., 5 février 1959, RJCI 17.
- ne saurait être produit pour la première fois en cassation le moyen tiré de l'irrecevabilité des constitutions de partie civile du Comité national de défense contre l'alcoolisme et d'un syndicat professionnel qui ont fait déposer, tant en première instance qu'en appel, des conclusions soumises à la libre discussion des parties, sans qu'à aucun moment la recevabilité de ces constitutions de partie civile et des demandes de réparation ait été contestée devant le juge du fond (Cass. crim., 9 mai 1973, RJ n° I, p. 43).
Remarque est faite qu'il est généralement admis que l'action civile ne peut être exercée que devant les tribunaux de répression de droit commun - au cas particulier le tribunal correctionnel - les tribunaux exceptionnels ne pouvant en connaître que si la connaissance leur a été expressément attribuée par la loi en raison de leur compétence rigoureusement délimitée par les textes qui les ont institués (voir pour la cour des pairs, 29 novembre 1830, S, 1831-II-17). (En ce sens TGJ Partie civile n° 5, note sous, Trib. civ. de Toulouse, 13 mai 1948, S, 1943-11-60, Gaz. Pal. 21-23, juillet 1943).
1 Actuellement art. R* 202-2 du Livre de procédures fiscales.
2 CIC, article 448 à 464 codifiés actuellement, CPP, articles 643 à 647.
3 Actuellement, article L. 411 du Code du Travail.
4 A rapprocher, Cass crim., 25 nov. 1930, BCI 1931.
5 Actuellement, art. L.411-11.