Date de début de publication du BOI : 01/10/1996
Identifiant juridique : 13E2262
Références du document :  13E2262

SOUS-SECTION 2 FORCE MAJEURE


SOUS-SECTION 2

Force majeure


1L'article 64 du Code pénal prévoyait l'absence de crime ou de délit lorsque le prévenu était contraint par une force à laquelle il n'avait pu résister.

Cet article a été abrogé mais l'idée en a été conservée à l'article 122-2 du nouveau Code pénal qui prévoit désormais l'irresponsabilité de la personne agissant sous l'empire d'une force ou d'une contrainte irrésistible.

Et l'article 1148 du Code civil dispose qu'« il n'y a lieu à aucun dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé ou a fait ce qui lui était interdit ».

Ces principes du droit conmun sont applicables en matière de contributions indirectes.

2Le contrevenant peut donc échapper aux pénalités dans le cas de force majeure, c'est-à-dire en cas d'accident ou d'événement indépendant de la volonté humaine et que cette volonté n'a pu ni prévoir, ni conjurer. La force majeure résulte d'un événement imprévisible et insurmontable qui place le contrevenant dans l'impossibilité absolue de se conformer à la loi.


  A. NOTION DE FORCE MAJEURE


3D'après la jurisprudence, l'existence de la force majeure est subordonnée à la réunion de trois conditions.

1. L'infraction doit être due à une cause étrangère au contrevenant

Il n'y a pas force majeure si l'événement peut être rattaché à une faute, même non intentionnelle, commise par celui-ci, La force majeure ne peut résulter que d'un obstacle absolu, indépendant de la volonté humaine et ne laissant pas à celle-ci la liberté de choix et la faculté d'agir autrement (Cass crim., 14 février 1946, BCI, 15, p. 35).

2. L'événement doit être inévitable et imprévisible

3. L'événement doit être irrésistible

Cette irrésistibilité est une question de fait, qui dépend des circonstances. La jurisprudence se montre très sévère pour admettre l'insurmontabilité. Elle exige un empêchement absolu et ne se contente pas d'un fait rendant l'obligation de se conformer à la loi plus difficile pour le prévenu. Les difficultés même très sérieuses ou très considérables contre lesquelles il aurait eu à lutter, ne sont pas assimilables au cas de force majeure (Cass. crim., 5 mai 1943, BCI, 29 : 20 juillet 1944, BCI, 43 ; 12 décembre 1962, RJCI, 38, p. 125, Bull. crim.. 37 : 22 janvier 1964, RJCI, 2, p. 10 ; 18 mars 1965, RJCI, 11, p. 36 ; 14 janvier 1970, 2 arrêts, RJCI, p. 8 et 12). Ainsi, l'état de guerre n'est pas en soi un cas de force majeure. Seuls des faits de guerre précis (réquisitions, bombardements, destruction), peuvent revêtir ce caractère.


  B. ETABLISSEMENT DE LA FORCE MAJEURE



  I. Preuve de la force majeure


4En tout état de cause, la preuve de la force majeure incombe à celui qui l'allègue (Cass. crim., 9 novembre 1907, BCI, 24, Bull. crim., 447). La simple allégation d'une menace qui n'était ni assez pressante, ni assez directe pour enlever au prévenu sa liberté d'esprit, ne peut être prise en considération par les juges (Cass, crim., 29 décembre 1949, GP suppl., 1950 (1er sem.), I, 295), elle doit se fonder sur des faits et circonstances parfaitement établis.


  II. Rôle des tribunaux


5Il appartient aux juges du fond d'user de leur pouvoir d'appréciation pour décider s'il y a lieu ou non d'accepter l'excuse de force majeure invoquée par le prévenu.

6Quant à la Cour de cassation, elle réserve son droit de contrôle sur le point de savoir si les faits souverainement constatés par les juges du fond constituent un empêchement de force majeure (Cass. crim., 7 novembre 1890, Sir., 91.1.239 ; 2 mai 1912, Dal., 1913.1.463, Bull. crim., 222).

7Il a été jugé en ce sens qu'encourt la cassation l'arrêt qui, d'une part, en omettant de préciser comment des circonstances - en l'espèce, l'occupation du territoire par une armée étrangère - que la Cour déclare être simplement atténuantes pour certaines des infractions poursuivies, étaient constitutives du cas de force majeure pour une autre contravention, n'a pas ainsi mis la Cour de cassation en état d'exercer son contrôle et que, d'autre part, fait abstraction, sans en examiner ni en discuter la valeur, tant des déclarations du prévenu consignées au procès-verbal et impliquant un refus volontaire de se conformer à la loi, que des conclusions de l'Administration arguant de ce qu'il avait été toujours possible au contrevenant de se procurer les titres de mouvement nécessaires (Cass crim., 5 mai 1943, BCI, 29).


  C. PANORAMA DE JURISPRUDENCE



  I. Cas où la force majeure a été admise


8La jurisprudence constante et nombreuse intervenue en la matière, a admis la force majeure dans les cas suivants, en faveur :

- d'un débitant de tabac, victime d'un vol, qui s'est trouvé par suite de certaines circonstances de fait, dans l'impossibilité de représenter à l'Administration les quantités de tabacs à lui soustraites, (Cass. crim., 6 novembre 1947, Bull. crim., 215) ;

- d'un marchand en gros chez lequel avait été opérée une réquisition de vin par une municipalité de la région parisienne pendant la période particulièrement critique du début de juillet 1940 et alors, notamment, que le repliement du service local des Contributions indirectes empêchait l'établissement des pièces nécessaires au transfert de la boisson (Cass. civ., 20 mars 1950, BCI, 17, Bull. civ., II-109).


  II. Cas où la force majeure n'a pas été reconnue


9Par contre, ne sauraient invoquer la force majeure :

- le marchand en gros de boissons, redevable de droits afférents à des manquants qu'il prétend être le résultat d'un incendie, alors qu'il est établi que l'incendie n'a pas eu le caractère d'un événement de force majeure (Trib. civ. Bordeaux, 30 juin 1880, Mém., 21, p. 149) ou lorsque l'incendie n'est pas le résultat d'un événement qu'on n'a pu ni prévoir ni conjurer (Cass. civ., 4 juin 1904, BCI, 14, Bull. civ., 74) ;

- le chauffeur de taxi, bien que tenu par un règlement de police de déférer à toute réquisition des voyageurs, dès lors qu'il ne résulte pas des constatations des juges du fond que ledit chauffeur se soit trouvé dans l'impossibilité absolue de prendre les précautions nécessaires pour s'assurer de la nature des colis chargés dans sa voiture (Cass. crim., 22 octobre 1937, BCI, 24, 22 juillet1941, BCI, 6) ;

- une prévenue de détention de tabac de fraude alors qu'il n'est pas démontré qu'elle ait été l'objet de menaces, ni que le danger auquel elle se serait crue exposée ait été assez imminent pour ne lui laisser d'autre moyen de l'éviter que de permettre le dépôt de tabac dans sa maison. En effet, la contrainte morale n'est une cause d'excuse des infractions que lorsqu'elle résulte d'une force à laquelle le prévenu n'a pu résister, et une menace, ne constitue un cas de force majeure qu'autant que le péril qu'elle fait craindre est imminent et qu'elle met celui qui en est l'objet dans la nécessité de commettre l'acte délictueux ou de subir les violences dont il est menacé (Cass. crim., 27 janvier 1939, BCI, 15, Bull. crim., 20) ;

- le contrevenant poursuivi pour détention et transport illicite de tabac de troupe, soutenant que ce tabac devenu prise de guerre, lui a été donné par des soldats allemands, s'il ne résulte pas des constatations que l'intéressé ait été soumis à une contrainte à laquelle il ne pouvait résister (Cass, crim., 14 avril 1943, BCI, 19, p. 35) ; .

- le meunier qui, chargé par le maire de la localité de fournir de la farine à une boulangerie réquisitionnée, et, ne pouvant obtenir du blé d'une coopérative de stockage, s'est approvisionné directement chez les cultivateurs sans observer les formalités obligatoires en pareil cas, du moment qu'il lui était possible d'exécuter l'ordre de l'autorité municipale en demandant une autorisation de livraison directe conformément aux dispositions de l'article 18 du décret.du 23 novembre 1937 (Cass, crim., 20 juillet 1944, BCI, 43, p. 86. Dans le même sens : 14 février 1946, BCI, 15 : 27 mai 1952, BCI, 7) ;

- la coopérative ayant reçu l'ordre donné par les autorités d'occupation de vider immédiatement un silo dans lequel se trouvait une certaine quantité de seigle, cet ordre ne constituant pas un cas de force majeure dispensant la coopérative, propriétaire de ces céréales, de faire établir un titre de mouvement pour l'enlèvement et le transport, du moment que ne résulte pas des constatations de l'arrêt, la preuve de l'impossibilité absolue pour les contrevenants, de faire procéder à l'établissement d'un laissez-passer réglementaire en utilisant le registre à eux confié à cet effet par l'Administration (Cass. crim., 27 janvier 1944, BCI, 9, p. 19. Dans le même sens : Cass. crim., 11 mai 1945, BCI, 9) ;

- le marchand en gros de boissons, victime d'un vol d'où résulte un manquant d'alcool, ne saurait être dispensé du paiement des droits s'il n'établit pas que le manquant est dû à un événement qu'il lui était impossible de prévoir ou d'empêcher (Cass. Civ., 8 avril 1948, BCI, 13, Bull. civ., 87) d'autant plus que la garde de l'entrepôt était assurée d'une façon précaire (Cass. crim., 22 janvier 1964, RJCI, 2, p. 10, Bull. crim., 24, p. 56) ;

- le distillateur victime du vol, par ses préposés, de boissons entreposées dans ses magasins lorsqu'il est établi que ce négociant, prévenu d'enlèvements et transports d'alcool sans titre de mouvement, n'a pas pris les précautions nécessaires pour éviter ces vols faciles à prévoir et à déjouer par une surveillance permanente et sévère (Cass. crim., 13 avril 1956, RJCI, 28, p. 320 ; Bull. crim., 294. Dans le même sens : Cass. crim., 22 octobre 1958, RJCI, 103, p. 272 ; 30 janvier 1962, RJCI, 8, p. 28) ;

- le transporteur destinataire de boissons circulant avec un titre de mouvement inapplicable, au motif que ce titre a été établi à la demande exclusive de l'expéditeur (Cass. crim., 14 janvier 1960, RJCI, 6) ;

- le contrevenant poursuivi pour mise en circulation d'un véhicule en surcharge, par rapport au poids déclaré, aux motifs qu'il a envoyé à Paris, en même temps, deux camions pour prendre un chargement de sucre : que l'un de ces deux véhicules est tombé en panne et que devant l'impossibilité de le réparer immédiatement, les chauffeurs, afin de ne pas abandonner une marchandise périssable ont placé sur le camion en état de marche le chargement du camion immobilisé (Cass. crim., 10 février 1960, RJCI, 21, Bull. crim., 79, p. 159) ;

- le destinataire de boissons transportées sous le couvert d'acquits-à-caution inapplicables, qui ne saurait soutenir qu'il s'est trouvé en présence d'un fait qu'il ne pouvait ni prévoir, ni conjurer, ni déceler après qu'il ait été commis, aux motifs que la falsification des boissons avait été pratiquée à son insu par l'expéditeur et que lors de leur enlèvement et de leur réception, il y avait une régularité des opérations (Cass. crim., 14 janvier 1970, RJCI, p. 8 et 12) ;

- les organisateurs d'un concert qui, n'ayant pas prévu l'étendue du succès de leur spectacle, ont, pour mettre fin à un tumulte pouvant dégénérer en violence et pallier un risque d'émeute, délivré, à la place des billets d'entrée réglementaires dont ils ne disposaient plus en nombre suffisant, des tickets ne présentant pas les caractéristiques exigées par la réglementation. Ils ne sauraient davantage être excusés de n'avoir pu produire les coupons de contrôle des billets délivrés, sous prétexte que des bousculades s'étaient produites, que les corbeilles les contenant avaient été renversées, et que ces documents avaient été piétinés par la foule au moment de l'entrée des spectateurs dans la salle (Cass. crim., 20 janvier 1978) ;

- l'exploitant d'appareils automatiques qui, ayant placé un de ses appareils dans un débit de boissons à un moment où celui-ci n'était pas encore ouvert au public, est poursuivi pour n'avoir pas souscrit la déclaration préalable de mise en service ni payé la taxe, alors que l'établissement a été ouvert à son insu avant la date prévue. Il était, en effet possible à l'intéressé, soit de souscrire la déclaration dès l'installation de l'appareil, en prévision de l'ouverture prochaine de l'établissement, soit de différer cette installation (Cass. crim., 12 mars 1979) ;

- le bouilleur de cru dont la cave n'était protégée que par une porte fermée par un cadenas et par une fenêtre garnie de barreaux dont l'un avait été descellé puis remis en place. Après le premier vol dénoncé seules quelques planches avaient été disposées devant la fenêtre, la surveillance de la cave restant inexistante. Dans ces conditions, il n'était pas impossible à l'intéressé de prévoir et d'empêcher ces deux vols (Cass com., 12 novembre 1979).