Date de début de publication du BOI : 30/06/1994
Identifiant juridique : 12C2252
Références du document :  12C2252

SOUS-SECTION 2 CONDITIONS D'APPLICATION

b. Que l'entreprise était en fait dirigée par une autre personne (cf. Cass. com. 3 octobre 1989, Bull. civ. IV n° 243 p. 162 précité ; 19 novembre 1991 arrêt n° 1433 D).

Lorsqu'il apparaît que le dirigeant de droit a également participé à la direction de la personne morale en cogestion avec un dirigeant de fait ou une personne titulaire d'une délégation générale de pouvoir, sa responsabilité pourra néanmoins être engagée (cf. Cass. com. 10 octobre 1989 arrêt n° 1169 D précité ; 7 février 1989, Bull civ. IV n° 56 p. 36 précité).

2. Conséquences pratiques : la charge de la preuve

21La preuve de la direction effective peut ne pas être apportée lors de l'assignation introductive d'instance : à défaut d'éléments contraires connus du service, l'action est d'abord dirigée contre le représentant légal de la société débitrice.

C'est en effet au dirigeant mis en cause qu'il appartient de démontrer qu'il n'a pas exercé effectivement son mandat social.

A défaut de toutes précisions ou justifications à l'appui de sa contestation, il ne peut valablement s'opposer à la demande du comptable (cf. Cass com 25 février 1992 arrêt n° 349 D).

22En revanche, dans les cas où le dirigeant poursuivi opposerait une argumentation sérieuse, le receveur qui entendrait maintenir que les manquements constatés demeurent imputables à l'intéressé devrait démontrer, de manière concrète, que le dirigeant de droit a concouru à la gestion de la société (Cass. com. 19 novembre 1991 arrêt n° 1433 D)

Cette preuve sera fonction des circonstances propres à chaque affaire.

23Si un gérant de fait vient à se révéler (soit titulaire d'une délégation générale de pouvoir, soit exerçant directement les prérogatives du dirigeant de droit), l'intéressé devra être poursuivi dès l'assignation, le cas échéant, ou au cours de la procédure par la voie de l'intervention forcée aux fins de condamnation ou de la demande incidente (Code de procédure civile, art. 66 et 68).

La mise en cause d'un tiers pour la première fois devant la Cour n'est pas recevable lorsque les éléments qui la motivent étaient connus dès la procédure devant les premiers juges. De la même manière, serait irrecevable comme nouvelle, la demande formée pour la première fois en appel, si le dirigeant de fait était présent en première instance sans que le comptable n'ait conclu contre lui.

24A noter que, dans l'éventualité où la constatation de la direction de fait exercée par un associé de SARL conduirait à déterminer l'existence d'un collège de gérance majoritaire, la demande devra être maintenue sur le fondement de l'article L 267, la notion de collège de gérance majoritaire étant exclue du champ d'application de l'article L 266 (cf. Cass. com. 27 octobre 1992 arrêt n° 1586 D ; supra 12 C 2251 n° 42 ).

  C. IMPOSSIBILITE DE RECOUVRER - LIEN DE CAUSALITE

25Pour leur application, les articles L 266 et L 267 prévoient la nécessité de démontrer que les manoeuvres frauduleuses ou les inobservations évoquées plus haut ont rendu impossible le recouvrement de l'impôt.

L'échec des tentatives de recouvrement qui concrétise cette impossibilité doit être la conséquence des manoeuvres ou manquements reprochés au dirigeant concerné.

La Cour de cassation rappelle de manière constante l'obligation de caractériser ce lien de causalité par des circonstances, autres que les seuls défauts de déclaration ou de paiement, en raison desquelles le comptable public s'est trouvé dans l'impossibilité de recouvrer les impositions dues par la société (cf. Cass. com. 15 décembre 1987, Bull. civ. IV n° 279 p. 208 ; 31 mai 1988, Bull. civ. IV n° 184 p. 128 ; 16 janvier 1990 n° 78 D).

Elle a eu l'occasion de souligner la nécessité d'établir que le service a utilisé en vain tous les actes de poursuites à sa disposition pour obtenir en temps utile paiement des impositions par la société.

La Cour suprême entend que les juges du fond surveillent les diligences effectuées tant par les services du recouvrement que par ceux de l'assiette.

  I. Les diligences du service du recouvrement

1. Une cause exclusive

26Il a été indiqué que l'action visée par les articles L 266 et L 267 ne devait être intentée qu'à la condition que des poursuites régulièrement engagées contre la société se soient révélées inefficaces ou insuffisantes, ou bien que l'inefficacité des poursuites susceptibles d'être exercées soit évidente, ou bien encore que toute poursuite soit impossible, notamment du fait de l'ouverture d'une procédure collective.

A défaut d'avoir observé ce principe, des comptables ont pu donner prise à l'argument selon lequel l'Administration avait elle-même négligé d'agir en temps utile à l'encontre de la société débitrice, de sorte qu'il n'était pas exact d'imputer au seul dirigeant poursuivi l'entière responsabilité dans l'impossibilité du recouvrement constatée ultérieurement (cf. Cass. com. 22 mai 1991, Bull. civ. IV n° 171 p. 123 ; 16 juillet 1991, Bull. civ. IV n° 263 p 183 ; 19 novembre 1991, arrêt n°s 1436 D et 1455 D ; 19 mai 1992 arrêt n° 875 D).

2. Des constatations suffisantes

27 L'impossibilité de recouvrement, qui doit nécessairement résulter des manquements aux obligations fiscales commises par les dirigeants, s'apprécie principalement au regard des difficultés rencontrées par le comptable pour recouvrer les sommes dues à sa caisse.

Pour considérer que les manquements imputables aux dirigeants sont à l'origine du défaut de recouvrement, les magistrats retiennent à juste raison qu'en dépit de mises en demeure et de l'émission de titres exécutoires, les intéressés ont laissé s'accroître la dette fiscale dans des proportions telles qu'elle n'a pu être réglée

Ce faisant, les juges ont répondu en l'écartant à l'argument selon lequel des difficultés économiques rencontrées par la société pouvaient justifier l'impossibilité de recouvrer (Cass. com. 8 janvier 1991 ; 15 juin 1993, RJF 8-9/93, n° 1221 texte reproduit en annexe, n° II).

Le défaut de paiement des taxes dues au Trésor en dépit des poursuites exercées en temps utile par le comptable chargé du recouvrement suffit à caractériser la responsabilité du dirigeant et le lien de causalité

28Il appartient donc au receveur agissant sur le fondement des articles L 266 et L 267 de préciser avec clarté les circonstances qui ont rendu impossible le recouvrement de l'impôt en faisant état des mises en demeure, des avis à tiers détenteur, des saisies pratiquées, demeurées inefficaces ou insuffisantes, ou bien des raisons qui expliquent que l'action en recouvrement a été retardée ou ne peut plus être entreprise contre la société redevable -plan de règlement non respecté, procédure collective.

a. Cas d'échec total ou partiel des mesures de poursuites engagées en temps utile

29Il suffit de démontrer que le receveur n'est pas resté inactif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a jugé que le lien de causalité exigé était suffisamment établi lorsque les décisions retiennent :

- que la société a laissé s'accumuler une dette fiscale excessive et accroître son passif, ce qui a abouti à son règlement judiciaire, le dirigeant n'ayant pris aucune disposition pour remédier à cette situation, tandis que de nombreux avis de mise en recouvrement et avis à tiers détenteur étaient restés sans effet (Cass. com. 16 janvier 1990 arrêt n° 59 D) ;

- qu'en dépit de mises en demeure et d'avis de mise en recouvrement, les dirigeants ont laissé s'accroître la dette fiscale dans des proportions telles que la créance ne peut plus être recouvrée, de sorte que l'argument selon lequel des difficultés économiques pouvaient justifier l'impossibilité de recouvrer la taxe sur le chiffre d'affaires non versée doit être écarté (Cass. com. 8 janvier 1991, arrêt n° 104 D précité) ;

- que les dirigeants ont laissé s'accumuler un passif excessif qui n'a pu être recouvré contre la société en liquidation des biens en dépit de l'émission de plusieurs avis de mise en recouvrement et avis à tiers détenteur restés sans effet (cf. Cass. com. 11 février 1992, Bull. civ. IV n° 71 p. 53 ; RJF 5/92 n° 745 - 2ème espèce) ;

- que le dirigeant a laissé s'accumuler une dette fiscale excessive, de sorte que l'Administration ayant dû procéder à une taxation d'office, cinq avis de mise en recouvrement, deux mises en demeure et deux avis à tiers détenteur délivrés en temps utile, étaient restés sans effet (Cass. com. 11 février 1992 arrêt n° 270 D ; RJF 5/92 n° 747 - 2ème espèce) ;

- que les manquements aux obligations fiscales ont contraint l'Administration à délivrer six mises en demeure, treize avis de mise en recouvrement et sept avis à tiers détenteur, que cette Administration a accepté successivement deux plans de règlement qui n'ont pas été respectés, que les inobservations ont ainsi accentué considérablement l'important passif de la société et ont rendu impossible le recouvrement de la créance fiscale dont la production à la procédure collective de la société est demeurée infructueuse (Cass. com. 7 avril 1992 arrêt n° 631 D),

- que l'Administration n'a pu obtenir le paiement de sa créance fiscale malgré dix-sept avis de mise en recouvrement, plusieurs mises en demeure et une procédure de saisie des parts d'une SCI appartenant à la société débitrice (Cass com. 19 mai 1992 arrêt n° 844 D) ;

- que l'impossibilité de recouvrer résulte suffisamment de l'émission par l'Administration d'un avis de mise en recouvrement, d'une mise en demeure et d'un avis à tiers détenteur, tous actes demeurés sans effet et qui attestent suffisamment de ses diligences normales (Cass com. 23 février 1993 arrêt n° 298 D, RJF 5/93 n° 729) ;

- que le dirigeant a laissé s'accumuler un passif considérable au point d'aboutir à une clôture de la procédure collective pour insuffisance d'actif en dépit de mises en demeure, d'avis de mise en recouvrement et d'une saisie-exécution restés sans effet (Cass com. 9 mais 1993 - arrêt n° 438 D, RJF 5/93 n° 731) ;

- que l'Administration a été conduite, en raison des manquements du dirigeant, à procéder à une taxation d'office puis à délivrer neuf avis de mise en recouvrement et cinq mises en demeure, lesdits manquements ayant eu pour conséquence de laisser se constituer une dette fiscale excessive et d'accentuer considérablement le passif de la liquidation des biens, rendant impossible le recouvrement de la créance fiscale (Cass. com. 12 octobre 1993 - arrêt n° 1478 P - DF 1993 n° 49 comm. 2367).

b. Justifications du retard de l'action en recouvrement imputable aux dirigeants

30Un juge justifie sa décision lorsqu'il constate que les dirigeants ont eu recours de façon répétée à des artifices pour éluder le paiement des impositions, obligeant l'Administration à procéder par voie de taxation d'office, alors que les transferts successifs du siège social rendaient impossible le recouvrement des impositions dues (cf. Cass. com 10 juillet 1989, DF 1989 n° 49 - 2314)

c. Impossibilité d'agir due à l'ouverture d'une procédure collective

31Le lien de causalité entre l'inobservation des obligations fiscales et l'impossibilité de recouvrer se trouve caractérisé lorsqu'en raison même des manquements auxdites obligations, l'élaboration des titres exécutoires nécessaires au recouvrement est intervenue à des dates précédant immédiatement ou suivant l'ouverture d'une procédure collective, de telle sorte que le Trésor n'est plus en mesure d'exercer utilement une action individuelle à l'encontre de la société débitrice.

Tel est le cas lorsque des minorations systématiques de déclaration de TVA ont obligé l'Administration à établir les impositions exigibles par voie de redressements (Cass. com. 11 février 1992 arrêt n° 268 D ; RJF 5/92 n° 747 - 1ère espèce - Cass. com. 7 décembre 1993 n° 1939 D) ou lorsque le dépôt sans paiement de plusieurs déclarations fiscales est intervenu tardivement peu avant ou après l'ouverture d'une procédure collective (Cass. com. 15 juillet 1992 arrêt n° 1322 D ; RJF 11/92 n° 1574).

L'impossibilité de recouvrer est également établie lorsque le comptable ne peut poursuivre une action en paiement déjà engagée du fait de l'ouverture d'une procédure collective.

Tel est le cas lorsqu'après avoir authentifié sa créance et fait délivrer des mises en demeure, le receveur est privé de toute action par le dépôt de bilan de la société redevable (Cass. com. 4 mai 1993, arrêt n° 788 D, DF 1993 n° 1744).

32Toutefois, l'appréciation du lien de causalité ne dépend pas du dénouement de cette procédure. C'est ainsi que le comptable n'a pas à démontrer que la réalisation de l'actif social ne pourrait suffire à l'apurement de la créance ni, à plus forte raison, que la personne morale est totalement insolvable (cf. Cass. com. 10 janvier 1989, arrêt n° 67 D - solution implicite ; rapp. Cass. com. 10 mars 1975, Bull. civ. IV n° 76 p. 62).

En revanche, le fait qu'un plan de redressement de la personne morale débitrice proposé par l'administrateur judiciaire et prévoyant le paiement échelonné et total des créances fiscales déclarées soit exécuté normalement, les versements au comptable des impôts étant effectués régulièrement, permet d'escompter à terme l'apurement final de la créance. Dès lors, l'impossibilité de recouvrer au sens des articles L 266 et L 267 n'est pas vérifiée et il ne peut être fait application de ces dispositions (Cass. com. 24 novembre 1992 n° 1782 D ; RJF 2/93 n° 285).

3. Incidences d'une rupture passagère de la continuité de l'action en recouvrement résultant de la suspension gracieuse des poursuites.

33L'inaction du comptable en cas de paiements partiels qui laissent espérer un apurement spontané des sommes dues, pourrait être considérée comme une circonstance susceptible d'écarter la responsabilité du dirigeant (Cass. com. 19 novembre 1991 n° 1455 D).

De la même manière, l'octroi d'un plan de règlement peut influer sur la mise en cause d'un dirigeant, dès lors qu'il représente une manifestation de bonne volonté de l'intéressé effectuant une démarche en vue de trouver une solution aux difficultés financières de l'entreprise.

34Toutefois, le fait qu'un plan de règlement soit devenu caduc en l'absence d'exécution de la part du dirigeant, et alors même que les manquements de l'intéressé se sont poursuivis, a pour effet d'aggraver la responsabilité de ce dernier au sens de l'article L 267 (cf. Cass. com. 17 décembre 1991, arrêt n° 1638 D ; RJF 3/92 n° 408).

En effet, lorsqu'il sollicite l'octroi de délai de paiement et accepte un moratoire qu'il sait ne pas pouvoir tenir, retardant de ce fait même le dépôt de bilan de la société débitrice, ou s'il ne respecte pas les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice du plan de règlement, le dirigeant engage sa responsabilité et crée les conditions qui rendent le recouvrement impossible (Cass. com. 7 avril 1992, arrêt n° 631 D et 4 mai 1993 n° 788 D).