SECTION 3 CHAMP D'APPLICATION DE LA RESPONSABILITÉ
SECTION 3
Champ d'application de la responsabilité
Pour que la responsabilité de l'État puisse être engagée, en matière fiscale, le juge exige l'existence d'une faute des Services fiscaux (cf. O 7231 ) ayant causé un préjudice au contribuable (cf. O 7232 ).
SOUS-SECTION 1
Existence d'une faute
1Toute faute des Services fiscaux n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de l'administration.
À cet égard, les critères de responsabilité sont différents selon que la juridiction compétente est administrative ou judiciaire et selon que l'activité est fiscale ou extra-fiscale.
A. TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS
I. Activités fiscales
2Comme l'a affirmé le Tribunal des conflits dans l'arrêt Blanco (8 février 1873, DP, 1873-3, 17) :
« La responsabilité qui peut incomber à l'État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier. Cette responsabilité n'est ni générale ni absolue ; elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés ».
Ces règles spéciales ont été définies par la jurisprudence du Conseil d'État.
3Jusqu'en 1962, le Conseil d'État a subordonné la responsabilité de l'État à l'existence d'une faute manifeste et d'une particulière gravité de la part des services chargés de l'assiette ou de ceux chargés du recouvrement.
Depuis 1962 (CE, arrêt du 21 décembre 1962, dame X... , D.1963.588), c'est la notion de faute lourde qui prévalait.
4C'est ainsi qu'en ce qui concerne le service de l'assiette, il a été jugé que ne constituait pas une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'État :
- l'absence, dans une notification de redressements, de la mention du délai de trente jours ouvert au contribuable pour présenter ses observations (CE, arrêt du 11 juillet 1984, n° 36866, DF 1984, n° 2067) ;
- l'emport irrégulier des documents en cours de vérification et les conditions anormales de leur restitution ; la présence de l'inspecteur principal, supérieur hiérarchique du vérificateur, parmi les membres de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; l'erreur d'appréciation commise par le vérificateur qui a écarté, à tort, comme insuffisamment précise la réponse du gérant de la société qui se désignait lui-même comme le bénéficiaire des distributions occultes ; l'erreur d'appréciation commise par le service sur la qualité d'associé d'une société de fait, attribuée à tort à un contribuable ; l'erreur commise par le service dans l'indication, sur l'avis de mise en recouvrement, de l'article du code sur lequel étaient juridiquement fondées les amendes infligées (CE, arrêt du 24 février 1986, n° 40031, consorts X... ; RJF 4/86, n° 430) ;
- le fait d'avoir omis de mentionner, dans l'avis de vérification adressé au contribuable, les années sur lesquelles devait porter cette vérification (CE, arrêt du 30 septembre 1987, n° 50155, RJF 11/87 n° 115) ;
- l'utilisation d'une méthode de reconstitution du chiffre d'affaires « excessivement sommaire » dés lors que la comptabilité de l'intéressé, entachée de nombreuses erreurs et omissions, était dépourvue de valeur probante (CE, arrêt du 7 décembre 1987, n° 67150, Droit Fiscal 1988, n° 1663) .
- l'erreur d'appréciation du service d'assiette sur la nature d'une transaction (CE, arrêt du 8 juin 1990, X... , n° 54145, RJF 8-9/90, n° 1103) ;
- le dégrèvement des rappels d'impôts consécutifs à une vérification de comptabilité, dès lors que ce contrôle était régulier et les redressements fondés notamment sur des irrégularités de la comptabilité (CE, arrêt du 26 juillet1991, SARL Masi et X... , n° 64389, RJF 10/91, n° 1293) ;
-le dégrèvement d'impositions trouvant leur origine dans l'absence de réponse aux demandes de justifications et aux notifications de redressements adressées par le service des impôts (CAA Nantes, arrêt du 22 décembre 1994, X... , n° 93-565, RJF 4/95, n° 530) ;
- la demande de restitution d'un remboursement de TVA accordé par erreur (CE, arrêt du 5 juillet 1996, SCI Saint-Michel, n° 150398, RJF 8-9/96, n° 1055).
5 En revanche, l'État a été condamné au versement d'une indemnité pour avoir commis une faute lourde dans les espèces suivantes :
- à l'occasion d'une vérification de comptabilité qui, conduite avec une particulière légèreté, avait été suivie de la mise en recouvrement précipitée de sommes sans commune mesure avec le chiffre d'affaires déclaré par l'entreprise concernée, et de la cessation de l'activité de cette dernière (CE, arrêt du 11 juillet 1984, n° 45.920, SISO, RJF 10/84, n° 1256) ;
- à l'occasion du rejet d'une réclamation portant sur des impositions d'un montant très élevé, assorties des pénalités applicables en cas de manoeuvres frauduleuses, alors que le directeur des services fiscaux compétent avait eu connaissance du rapport déposé par deux experts dans le cadre des poursuites pénales diligentées à l'initiative de l'administration, rapport qui concluait à l'absence tant d'omissions de recettes importantes que de manoeuvres ou de fraude (CE, arrêt du 7 décembre 1987, n° 67150, RJF 2/88, n° 237) ;
- à l'occasion de dégrèvements prononcés avec un retard de plusieurs années alors que le service en avait admis le principe (CAA Paris, arrêt du 21 novembre 1995, n° 94-985, SA Rallye Opéra, RJF 4/96, n° 491).
6La notion de faute lourde était également retenue en ce qui concerne le recouvrement de l'impôt.
C'est ainsi qu'il a été jugé notamment que ne constituaient pas des fautes lourdes : le recouvrement de pénalités afférentes à la TVA, jugées fondées par le tribunal administratif, nonobstant l'appel formé contre un jugement devant le Conseil d'État ainsi que l'inscription du privilège du Trésor alors que le contribuable avait fourni des cautions garantissant le paiement des impositions contestées (CE, arrêt du 24 février 1986, n° 40031, RJF 4/86, n° 430).
En revanche, constitue une faute lourde le recouvrement forcé, par voie d'avis à tiers détenteurs, d'impositions non encore exigibles (CAA Paris, arrêt du 21 novembre 1995, n° 94-985, SA Rallye Opéra, RJF 4/96, n° 491).
7 La nécessité posée par la jurisprudence de l'existence d'une faute lourde a d'abord été battue en brèche en matière d'actions en responsabilité engagées par les collectivités locales.
La Haute Assemblée a établi en ce domaine une distinction selon que la faute imputée à l'administration était afférente aux activités matérielles des services ou concernait les actes juridiques pris par eux.
Lorsque le préjudice trouve son origine dans des carences ou négligences des services fiscaux, la faute lourde demeure exigée car ces imperfections sont inhérentes aux difficultés de l'action quotidienne des services en cause (CE, arrêt du 21 janvier 1983, n° 19933, ville de Bastia, RJF 4/83, p. 226 et arrêt du 13 mai 1991, n° 79933, Garges-les-Gonesse, DF 1991, n° 2190 ; cf. toutefois ci-dessous n°s 8 et 9 ).
En revanche, l'illégalité d'un acte juridique est en elle-même fautive et suffit, en principe, à engager la responsabilité de l'État (CE, arrêt du 7 février 1986, n° 23602, Tallard, DF 1986, n° 1322, et arrêt du 26 mars 1990, n° 71826, RJF 5/90, n° 546).
8Enfin, dans un arrêt du 27 juillet 1990 (n° 44676, X... , RJF 8-9/90, n° 1102), le Conseil d'État a élargi le champ d'application de la responsabilité de l'État du fait des services fiscaux.
Aux termes de cet arrêt, en effet, l'activité purement fiscale de l'administration peut engager la responsabilité de l'État tant en ce qui concerne l'assiette que le recouvrement, sur la base de la faute simple quand cette activité ne présente aucune difficulté particulière tenant à l'appréciation de la situation du contribuable concerné, mais n'implique que des tâches purement matérielles.
9Le Conseil d'État a confirmé et précisé cette position dans un arrêt du 29 décembre 1997 (n° 151472, section, commune d'Arcueil 1 ), en posant les principes suivants :
Les erreurs commises par l'administration fiscale lors de l'exécution d'opérations qui se rattachent aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt ne sont, en principe, susceptibles, en raison de la difficulté que présente généralement la mise en oeuvre de ces procédures, d'engager la responsabilité de l'État que si elles constituent une faute lourde.
Il en va, toutefois, différemment lorsque l'appréciation de la situation du contribuable ne comporte pas de difficultés particulières.
Il appartient au juge de rechercher et d'apprécier ces difficultés en tenant compte des circonstances de chaque espèce.
II. Activités extra-fiscales
10Tous les actes en relation avec l'activité fiscale, mais ne se rattachant ni au fond de l'impôt, ni à son recouvrement, donnent lieu à réparation sur la base de la faute simple, dans les conditions de droit commun.
La mission de renseignements fait partie des activités extra-fiscales des services fiscaux.
La fourniture de renseignements erronés peut engager la responsabilité de l'État (CE, arrêts du 16 janvier 1935, X... , Leb. p. 62 ; du 11 mars 1960, Sté Maisserie et aliments du bétail, Leb. p. 190, et du 8 juillet1988, X... , n° 77118, RJF 10/88, n° 1161).
La responsabilité de l'État est également engagée sur la base d'une faute simple, en cas de dégâts matériels commis lors d'une vérification ou en cas de dommages causés par la perte de la comptabilité d'un particulier (CE, arrêt du 2 novembre 1957, D. 1958, Som. p. 45).
B. JURIDICTIONS JUDICIAIRES
11Les juridictions judiciaires jugent comme en matière de droit commun. Ainsi, la Cour de Cassation déclarait, dès 1872 (Cass. crim., X... , arrêt du 15 juin 1872, D. 1872, I, 206) « que le principe de la responsabilité écrit dans les articles 1382 et 1384, Code civil, est général -qu'il s'applique même aux administrations et aux régies investies du droit de poursuivre devant les tribunaux la répression des contraventions fiscales- que, pour qu'il en fût autrement, il faudrait un texte formel qui eût dérogé en ce qui concerne ces administrations aux principes du droit commun, mais que ce texte n'existe pas -qu'en effet, l'article 29 du décret du 1er germinal an XIII ne renferme qu'une disposition particulière applicable au cas de saisie- que cet article a surtout pour objet de limiter dans ce cas les conséquences de la responsabilité générale et de les renfermer dans des proportions qu'il a pris soin d'avance de déterminer - qu'en dehors de ce cas, qui est spécialement réservé, la responsabilité existe pour toutes les fautes préjudiciables de l'Administration ».
Mais une condamnation n'était prononcée qu'autant qu'il y avait eu fraude, faute grave ou mauvaise foi (Cass. civ., arrêt du 28 janvier 1880, D. 81, 1, 266, Trib. civ. Seine, 3 décembre 1943, RE, 12816 ; Montpellier, 20 décembre 1945, RE 12509).
Ainsi, la Cour de cassation reconnaît, avec le Tribunal civil, que « le recours à une action en justice ne constitue une faute pouvant entraîner condamnation à des dommages et intérêts que lorsqu'on se trouve en présence d'un acte de malice ou de mauvaise foi ou d'une erreur grossière, équipollente au dol » (Cass. com., arrêt du 28 mars 1960, Bulletin des arrêts de la Cour de cass. Chambres civiles, 3e partie, n° 116, p. 106).
De même, l'administration ne peut être condamnée à des dommages-intérêts :
- lorsqu'elle réclame un droit qu'elle estime dû (Trib. civ., Fontenay le Conte, 12 août 1879, J. Enreg. 21318) ;
- lorsqu'elle a engagé des poursuites qui sont ensuite reconnues mal fondées, dès lors que le tribunal ne relève à son encontre, ni dol, ni erreur grossière, ni acte de mauvaise foi (Cass. civ., arrêt du 18 novembre 1930, RE 9447, Trib. civ. Seine, 17 mars 1894, J. Enreg. 24453 et 24 février 1916, RE 6433).
Mais l'administration engage sa responsabilité même en l'absence de mauvaise foi ou d'animosité personnelle de ses agents lorsque, dans la mise en oeuvre des voies d'exécution, elle commet des erreurs grossières en agissant sans preuves solides et sans les précautions qui s'imposent en la matière (Cass. com., 28 mars 1960, cité ci-dessus).
Cette notion de manque de prudence se retrouve dans un arrêt de la Cour de Cassation qui a estimé que l'administration avait engagé sa responsabilité en exerçant le droit de préemption le dernier jour du délai de trois mois calculé à tort à compter de la présentation à l'enregistrement d'un acte rectificatif d'un précèdent acte présenté à la formalité (Cass. com., 20 mars 1990, X... , n° 439 D).
Par ailleurs, il a été jugé que constituait une faute lourde engageant la responsabilité de l'État, le détournement de procédure organisé par des fonctionnaires des impôts qui avaient surpris la religion des magistrats en leur dissimulant les motifs réels des perquisitions pour lesquelles ils sollicitaient une autorisation judiciaire, inutile si la visite avait pour objet la découverte de fraudes intéressant le monopole des tabacs ou les distilleries clandestines (CA de Paris, 18 avril 1991).
1 On observera à cet égard que le conseil d'État applique des solutions identiques aux demandes des contribuables et à celles des collectivités locales.