SOUS-SECTION 5 FAITS SANS INFLUENCE SUR LA POURSUITE
SOUS-SECTION 5
Faits sans influence sur la poursuite
A. RÉPARATION DU PRÉJUDICE
1L'article 1741 du CGI ne prévoyant aucune exemption de poursuites en faveur de celui qui se libère des droits éludés, l'action publique engagée sur la base de ce texte ne peut être affectée dans sa validité par la réparation du préjudice subi par le Trésor (Cass. crim., 28 janvier 1971, RJ, IV, p. 203, et Cass. crim., 2 avril 1979, RJ, IV, p. 207). Tel sera le cas, notamment, si l'apurement de la dette fiscale s'effectue au détriment du paiement des impositions courantes ou résulte de l'action du comptable (ATD ; hypothèques, saisies...).
B. TRANSACTION EN MATIÈRE ÉCONOMIQUE OU DOUANIÈRE
2Si une transaction intervient en matière économique pour les infractions à l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, et éteint l'action publique de ce chef, elle est sans effet sur les poursuites exercées par l'administration sur le fondement de l'article 1741 du CGI, les éléments constitutifs des deux délits étant entièrement distincts (Cass crim., 20 février 1969, X... Jean ; Bull. crim. n° 88, p. 220).
De même, dès lors que les éléments tant légaux que matériels des infractions douanières et du délit de fraude fiscale sont nettement distincts, la transaction conclue en matière de douane est sans influence sur les poursuites correctionnelles pour fraude fiscale exercées sur plainte de l'administration des Impôts (Cass. crim., 27 novembre 1968).
En revanche, cette solution n'est pas transposable pour les infractions aux règles de la facturation commises dans le cadre de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
C. TRANSACTION EN MATIÈRE FISCALE
3Pour être valable, une transaction doit être accordée par une décision de l'autorité fiscale compétente, prise dans les conditions définies par la loi et notifiée au contribuable qu'elle concerne. Ne peut donc être considéré comme une transaction le simple fait, pour un contribuable, d'accepter les redressements qui lui sont notifiés (Cass. crim., 24 avril 1971, RJ, IV, p. 208).
Il a été jugé qu'une transaction intervenue régulièrement ne peut, au regard des dispositions de l'article 6, alinéa 3, du Codé de procédure pénale, ni entraver la mise en mouvement de l'action publique, ni entraîner son extinction puisqu'aucun texte n'en dispose ainsi en matière de contributions directes et d'enregistrement.
4Cependant, nonobstant le caractère inopérant de la transaction comme cause d'extinction de l'action publique du chef de l'article 1741 du CGI, le service devra s'abstenir de consentir, en toute matière fiscale, des transactions portant sur les pénalités afférentes aux impositions qui ont donné lieu au dépôt d'une plainte pour fraude fiscale ou pour lesquelles le dépôt d'une plainte est envisagé. En effet, l'administration ne peut à la fois se montrer bienveillante en accordant une atténuation des pénalités fiscales par voie de transaction et, dans le même temps, faire preuve de rigueur en demandant l'application de sanctions pénales.
D. EXCUSES DIVERSES
5L'ignorance comptable du contribuable ou de la personne chargée de tenir la comptabilité ne peut être considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme une circonstance atténuante dès lors que tout commerçant doit être en mesure de satisfaire aux obligations que lui impose l'exercice de son activité (Cass. crim., 3 janvier 1958) et qu'il appartient au chef d'entreprise de veiller à ce que la comptabilité soit légalement tenue et de prendre toutes dispositions nécessaires à cette fin (Trib. corr. Lyon, 3 février 1954).
La Cour de cassation a ainsi jugé que c'est au chef d'entreprise qu'il appartient de signer les déclarations mensuelles du chiffre d'affaires et non au comptable que le dirigeant social a librement choisi et conservé à son service malgré Ses insuffisances (Cass. crim., 3 octobre 1989, X... René).
De même, la Cour n'a pas admis que le contribuable a été victime des carences et négligences de la comptable agréée qu'il avait chargée de rédiger ses déclarations fiscales dans la mesure où le prévenu, homme d'affaires avisé, avait eu son attention attirée par les nombreux rappels ou mises en demeure qu'il avait reçus de l'administration fiscale (Cass. crim., 1er octobre 1985, X... Louis).
De même, le prévenu ne saurait se retrancher, pour établir sa bonne foi, derrière l'incompétence de sa secrétaire ou les négligences de son conseiller fiscal, même si ce sont ces personnes qui ont préparé les déclarations qu'il lui appartenait de vérifier avant de les signer (Cass. crim., 2 décembre 1975, RJ, IV, p. 184).
A fortiori, un contribuable ne peut s'exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant la part prise par ses préposés dans la réalisation des faits délictueux dès lors qu'il est établi que ceux-ci étaient commis avec son accord (Cass. crim., 24 février 1977, RJ, IV, p. 172) ou ne pouvaient être ignorés de lui (Cass. crim., 22 mars 1977, RJ, IV, p.175).
6La Cour de cassation a également jugé que la circonstance selon laquelle le contribuable a pu être amené à minorer ses déclarations de chiffre d'affaires en raison des difficultés de trésorerie de son entreprise ne saurait être considérée comme une cause de contrainte morale ayant eu pour effet de faire disparaître l'élément intentionnel (Cass. crim., 2 mai 1977 et 3 avril 1978, RJ, IV, 1977, p. 178 ; 1978, p. 207).
Par ailleurs, le prévenu qui a systématiquement refusé tout contact avec l'administration en s'abstenant de répondre aux convocations des services fiscaux et aux nombreuses lettres ou mises en demeure que ceux-ci lui ont adressées, ne peut excuser ses manquements en invoquant un état dépressif dont on a pu constater qu'il ne l'avait pas empêché de s'occuper de ses activités professionnelles et de traiter d'importantes affaires personnelles (Cass. crim., 2 avril 1979, RJ, IV, p. 207).
Il en est de même des difficultés passagères de trésorerie dès lors que le contribuable a volontairement retenu des sommes qu'il était tenu de reverser à l'État dès leur perception (Cass. crim., 6 décembre 1993, X... André) ou qu'il s'octroyait, pendant la même période, de substantielles augmentations de rémunération (Cass. crim., 10 décembre 1990 ; X... Marc).
Enfin, le dépôt de déclarations rectificatives effectué par un redevable informé de l'imminence d'une vérification fiscale ne saurait effacer le délit qui a été entièrement consommé avant le dépôt des déclarations rectificatives (Cass. crim., 2 avril 1979, affaire Jean-Pierre X... ).
E. EXISTENCE D'UNE PROCÉDURE DEVANT LE JUGE DE L'IMPÔT : INDÉPENDANCE DES DEUX ORDRES DE JURIDICTION
7Une jurisprudence constante a consacré le principe dit « de l'indépendance des procédures » au terme duquel les poursuites correctionnelles et la procédure administrative sont par leur nature et leur objet indépendantes l'une de l'autre et n'admettent pas les mêmes modes de preuve (Cass. crim., 9 mai 1988, X... Dominique et Cass. crim., 25 février 1991, X... Marie-Chantal).
Il s'ensuit que la décision de la juridiction administrative n'a pas au pénal l'autorité de la chose jugée (Cass. crim., 24 avril 1984, X... Claude et autres) ; elle ne s'impose pas aux juridictions correctionnelles qui, dès lors :
- doivent écarter toute demande de sursis à statuer (Cass. crim., 5 juillet 1976, RJ, IV, p. 278) ;
- peuvent statuer quel que soit le sens de la décision du juge fiscal (Cass. crim., 18 novembre 1976, RJ, IV, p. 307).
Le juge pénal a également affirmé le principe de l'indépendance entre la procédure de poursuites pénales et la procédure de recouvrement des impositions établies (Cass. Crim. 4 avril 1991, X... Jean-Paul).
Par identité de motifs, il semble que le même principe puisse s'appliquer dans le cas où le juge de l'impôt est un tribunal de l'ordre judiciaire.
8À l'inverse, cette notion comporte des obligations pour l'administration qui ne peut, au cours de la procédure judiciaire, se satisfaire des seuls procédés démonstratifs habituels au droit fiscal et doit établir les éléments constitutifs du délit dénoncé selon les règles de preuve propres au droit pénal.
De plus, il va sans dire que l'existence de ce principe constant ne dispense pas le service d'assurer une complète information des autorités judiciaires chargées des dossiers de fraude fiscale. À cet égard, on ne perdra pas de vue que toute évolution contentieuse significative intervenant dans une affaire faisant l'objet de poursuites (dégrèvement, réduction des impositions, etc.) doit impérativement être portée à la connaissance des magistrats compétents.
9Cela étant, la Cour de cassation a été appelée à fixer une limite à l'application du principe de l'indépendance des procédures.
Par un arrêt du 4 décembre 1978 (X... Mario ; Bull. crim. n° 340, p. 887), la Chambre criminelle a en effet déclaré recevable le moyen selon lequel l'inobservation des dispositions de l'article 1649 septies du CGI (désormais art. L. 47 du LPF), prévoyant que le vérificateur doit, préalablement à la première intervention sur place, aviser le contribuable qu'il peut se faire assister par un conseil de son choix, constitue une violation des droits de la défense.
Cette jurisprudence est applicable à l'exercice contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle, anciennement VASFE (Cass. crim., 4 novembre 1991, X... Michel).
La Cour a donc clairement énoncé qu'elle considère les dispositions de l'article L. 47 du LPF comme une garantie essentielle des droits de la défense dont il appartient à la juridiction répressive d'assurer le respect.
Toutefois, le non-respect de cette garantie n'est pas sanctionné si la procédure engagée par le service ne constitue pas une vérification fiscale comme le simple exercice du droit de communication (Cass. crim., 22 mai 1989, X... Rolande) ou ne concerne pas la procédure à l'origine des poursuites.
Ainsi, l'irrégularité entachant une procédure de VASFE reste sans conséquence dès lors que les poursuites pénales sont fondées sur des rappels issus d'une vérification de comptabilité (Cass. Crim., X... Djambe, Y... Annick, 11 janvier 1993). De même, la juridiction correctionnelle n'a pas compétence pour apprécier la régularité d'une ordonnance autorisant une visite domiciliaire en application de l'art. L. 16 B du LPF, seulement susceptible d'un pourvoi en cassation (Cass. Crim., 2 juin 1993, X... Pierre et Nicole).
Au surplus, un éventuel vice de la procédure de vérification demeure sans influence sur la régularité de la procédure pénale dès lors que le contribuable est poursuivi pour abstention délibérée de déclaration et que la constatation de ce défaut de déclaration est étrangère à la procédure de vérification (Cass. crim., 21 janvier 1991, X... Géry).
10D'autres décisions ont contribué à la définition du domaine de compétence des autorités judiciaires en cette matière.
Tout d'abord, la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l'article 1649 septies F (actuellement article L. 52 du LPF), limitant la durée sur place de certaines vérifications, ne prévoyaient, à la différence de celles de l'article 1649 septies, que la nullité de l'imposition et qu'ainsi, en vertu du principe de l'indépendance des procédures, le contrôle de l'application de ce texte n'incombait pas aux juridictions pénales (Cass. crim., 6 juin 1977, RJ, IV, p. 180 ; 20 mars 1978, RJ, IV, p. 194 ; et 21 janvier 1991, X... Daniel).
Par ailleurs, la Chambre criminelle a rejeté le moyen par lequel le prévenu invoquait une violation de l'article 1649 septies B (devenu article L. 51 du LPF), prévoyant la nullité d'une seconde vérification effectuée sur une période ayant déjà été contrôlée (Cass. crim., 1er octobre 1979 précité, RJ, IV, p. 226).
De même, le juge pénal est incompétent pour contrôler le respect de la garantie accordée au contribuable contre les changements de doctrine prévue à l'article L. 80 A du LPF (Cass. crim., 14 janvier 1980, X... Lucien) ou de la régularité de la mise en oeuvre des procédures fiscales de contrôle (procédure de redressement contradictoire ; Cass. crim., 21 avril 1986, X... Dominique ; taxation d'office : Cass. crim., 8 mai 1981, X... Saït ; répression des abus de droit : Cass. crim., 14 décembre 1987, X... Jean-Claude).