SOUS-SECTION 3 MISE EN OEUVRE
V. Principales exceptions de procédure
1. Prescription invoquée contre le receveur
22Dans de nombreuses espèces, les dirigeants concernés ont tenté d'opposer au comptable une prescription qui leur aurait été propre, distincte du délai général de recouvrement.
D'autres se sont battus sur le terrain de la prescription de la créance à l'égard du débiteur principal, soit dans le cas d'une procédure de faillite, soit en mettant en cause la valeur interruptive de prescription de l'assignation dirigée contre le représentant légal de la société.
a. Une imposition qui n'est pas prescrite à l'égard du contribuable ne l'est pas davantage à l'égard du débiteur solidaire
23Aucun délai de prescription particulier ne s'attache aux deux textes et la mise en oeuvre de la procédure qu'ils prévoient s'intègre dans le cadre plus large de l'action en recouvrement exercée par les comptables des impôts à l'encontre de la société. Ce délai peut être interrompu dans les conditions visées aux articles L 274, 2ème alinéa et L 275 du Livre des procédures fiscales.
La Cour suprême a ainsi rejeté la distinction abusive retenue par les juges du fond qui instituaient de la sorte un délai de prescription distinct à l'égard du dirigeant.
Elle a donc précisé que l'action ouverte au receveur par les articles L 266 et L 267 pouvait être exercée tant que les poursuites tendant au recouvrement des créances fiscales n'étaient pas atteintes par la prescription au regard de la société, telle que fixée par l'article L 275 du LPF (Cass. com. 19 janvier 1988, Bull. civ. IV n° 39 p. 27, Petites affiches n° 89 p. 4, note Joseph DADOUCHE ; rapp. Cass. com. 19 juin 1992, Bull. civ. IV n° 242 p. 169 ; 29 juin 1993, arrêt n° 1190 D).
b. L'assignation du dirigeant ne constitue pas un acte interruptif de prescription à l'égard de la société redevable principale
24La Cour de cassation a eu l'occasion de censurer un arrêt qui retenait que les poursuites engagées contre les dirigeants " avaient interrompu le cours de la prescription à l'égard de tous les codébiteurs solidaires, donc à l'égard de la société " (Cass. com. 23 février 1993, RJF 5/93 n° 732, Bull. civ. IV n° 75 p. 50, texte reproduit en annexe, n° V).
Par conséquent, une fois l'action engagée, les comptables poursuivants devront veiller tout particulièrement à ne pas laisser prescrire la créance fiscale à l'égard de la société, avant qu'une décision de justice définitive ne soit prononcée à l'encontre du dirigeant social.
Avant cette décision, le comptable est fondé à se prévaloir de l'effet interruptif ou suspensif des actes ou situations juridiques affectant la société débitrice.
Dans les cas où la société a bénéficié d'une procédure d'apurement collectif du passif et où la clôture des opérations de liquidation de la société a déjà été prononcée, la prescription sera interrompue par un commandement de payer adressé à un mandataire ad hoc dont la désignation (à fin de représentation) devra être obtenue par voie de requête auprès du Président du Tribunal de commerce.
Cette solution destinée à préserver les droits du Trésor pour permettre d'agir ultérieurement contre un tiers, est donnée, bien entendu, sous réserve de l'appréciation des tribunaux.
c. Effet interruptif de prescription de la production des créances à une procédure de faillite
25La production d'une créance constitue, pour la Cour de cassation, une véritable demande en justice, puisqu'elle doit aboutir à une décision du juge en vue de figurer sur l'état du passif (cf. Cass. com. 10 janvier 1951 D. 1951.310 ; Cass. com. 14 décembre 1993, D. 1994 IR 31) et, pour le Conseil d'Etat, elle constitue un acte de poursuite (CE 5 décembre 1979 n° 1777, RJF 2/80 p. 86 ; 27 février 1991 req. n° 76959).
En tant que telle, la production de la créance du Trésor, acte interruptif de prescription, fait donc courir, à compter de son dépôt, une nouvelle prescription de même nature et de même durée pour l'action en recouvrement. Par ailleurs, la décision d'admission de la créance au passif de la procédure collective a également pour effet d'interrompre la prescription (jurisprudence constante, cf. notamment cass. civ. 18 juin 1965, Bull. civ. Il n° 544).
Confirmation de ce principe dans Cass. com. 15 juillet 1992, RJF 11/92 n° 1574 p. 930.
d. La prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir
26Sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967, cet effet interruptif résultant, d'une part de la production de la créance fiscale, puis d'autre part, de son admission au passif, se prolonge jusqu'au jugement de clôture de la procédure collective qui rétablit le receveur dans son droit de poursuite individuelle (art. 35 et 91).
Il s'agit là de l'application du principe de droit commun selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir (article 2251 du Code civil).
Par conséquent, le délai de l'action en recouvrement, suspendu pendant la procédure collective recommence à courir, pour un nouveau délai de même durée, à compter de la clôture de la procédure de liquidation des biens (confirmation de la jurisprudence civile : Cass. com. 31 mai 1976, Bull. civ. IV n° 184 ; 16 juin 1992, RJF 8-9/92 n°s 1256-1257, Bull. civ. IV n° 242 p. 169).
S'agissant de la loi du 25 janvier 1985, les créanciers ne retrouvent leur droit de poursuite individuelle qu'exceptionnellement (cf. art. 169 : cas de fraude à l'égard des créanciers, récidive, etc). Il en résulte que l'action en recouvrement reste suspendue.
e. La possibilité d'agir en vertu de l'article 80 de la loi du 13 juillet 1967 ou de l'article 161 de la loi de 1985 ne contredit pas le principe
27Les dispositions de l'article 80, qui restituent au Trésor la faculté, sous certaines conditions, d'exercer son droit de poursuite individuelle n'ont pas pour effet de remettre en cause le principe général de la suspension des poursuites opposable au comptable public (Cass. com. 9 novembre 1993 n° 1708 D).
Pour que les receveurs retrouvent effectivement leur droit de poursuite, ils doivent avoir satisfait aux formalités exigées par l'article 80 précité. A défaut, le cours de la prescription ne cesse pas d'être suspendu à l'égard des créances fiscales
L'Administration estime, sous réserve de l'appréciation des tribunaux, que cette solution est transposable sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (art. 161).
f. Le juge civil est compétent pour connaître de la prescription dans le cadre de l'action elle-même
28Cette compétence résulte aussi bien des textes relatifs aux pouvoirs des juridictions saisies d'une demande introductive d'instance, que d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
Aux termes de l'article 49 du nouveau code de procédure civile, " Toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence connaît, même s'ils exigent l'interprétation d'un contrat, de tous les moyens de défense à l'exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction " .
Ce texte consacre l'adage selon lequel le juge de l'action est juge de l'exception.
Cette compétence s'applique à tous les moyens de défense, qu'il s'agisse d'exceptions de procédure, de fins de non-recevoir ou même de défense au fond stricto sensu, et alors même que ceux-ci, proposés au principal, auraient échappé à la compétence de la juridiction saisie
Cette règle comporte une exception, prévue par le texte lui-même : le moyen ne doit pas soulever une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction.
La définition de la question préjudicielle relevant exclusivement d'une juridiction administrative est étroite, il s'agit essentiellement de celle qui porte sur l'interprétation des actes administratifs, spécialement de nature individuelle ou sur l'appréciation de la légalité de ces actes administratifs.
Ce principe est consacré depuis longtemps par les juridictions suprêmes (Cass. civ. 24 juillet 1912 S.1914.1.371 ; Trib. Conflits 16 juin 1923 DP 1924.3.41 - arrêt X... ).
Au contraire, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en recouvrement, telle que prévue par l'article L 275 du LPF, peut parfaitement être examinée par le juge judiciaire, ce dernier étant légalement compétent pour statuer au fond, conformément aux dispositions de l'article L 267.
Par conséquent, dans ce cas précis, le juge de l'action doit également être le juge de l'exception.
Une telle prétention, qui tend à faire déclarer un adversaire irrecevable en sa demande, constitue une fin de non-recevoir pouvant être soulevée en tout état de cause en vertu des articles 122 et 123 du NCPC.
2. Contestation des impositions
29Si une réclamation d'assiette est régulièrement formée par le redevable légal de l'impôt (la société), il appartient au juge saisi d'une action fondée sur l'article L 267 d'examiner l'opportunité d'un sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge de l'impôt, dès lors que l'issue du litige sur le bien-fondé ou la régularité de l'imposition peut avoir une influence sur la responsabilité encourue par le dirigeant.
En l'absence d'un tel contentieux, les juges civils ne peuvent que se prononcer dans le cadre strict de leur compétence, au vu des titres exécutoires qui s'imposent à eux.
30Toutefois, dans la mesure où le dirigeant condamné a la qualité de débiteur solidaire de la dette fiscale, il peut opposer à l'Administration, outre les exceptions qui lui sont personnelles, toutes celles qui résultent de la nature de l'obligation ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs (art. 1208 c. civ.).
C'est en vertu de ce principe que la Cour de cassation a autorisé un dirigeant poursuivi sur le fondement de l'article L 267 à faire examiner, fût-ce par renvoi préjudiciel devant la juridiction compétente, le bien-fondé ou la régularité de l'établissement des créances fiscales visées dans la demande du receveur (Cass. com. 25 mars 1991, Bull. civ. IV n° 118 p. 92 ; 17 décembre 1991, LE DALL ibid. IV n° 392 p. 272, texte reproduit en annexe, n° III ; 4 mai 1993, arrêt n° 780 D - 12 juillet 1993, n° 1377 D).
Dans ce cas, il appartient en principe au juge civil de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue du litige sur cette question préjudicielle.
31Le juge n'ayant pas la faculté de saisir directement la juridiction administrative (Cass. civ. 21 mai 1986, Bull. civ. I n° 131), le dirigeant est tenu de respecter les règles de procédure fiscale, notamment la phase administrative préalable devant le Directeur des services fiscaux.
32- Sur la recevabilité de l'exception invoquée en cours d'instance par le dirigeant poursuivi
Au sens du droit fiscal et de la jurisprudence administrative rendue en la matière, le dirigeant social n'a qualité pour déposer une réclamation, à titre personnel, qu'à compter du jour où il est déclaré débiteur solidaire par une décision de justice, le jugement rendu constituant un titre exécutoire (cf. art. R* 197-4 du LPF ; CE Plénière 24 novembre 1971 n° 79565 DF 9/79 C. 289 Concl. DUFOUR ; 24 octobre 1980 n° 17900 RJF 1980 p. 641 ; 3 juillet 1985 n° 52011 DF 1985 C. 2160 ; 25 janvier 1989 n°s 65426, 65427 et 65428, DF 1989, n° 25, comm. 1274).
Dès lors, pour concilier des principes qui semblent se contredire, il sera considéré que l'exception invoquée par le dirigeant n'est recevable qu'après le prononcé du jugement de première instance le déclarant solidairement responsable du paiement de l'impôt.
33- Sur l'obligation de surseoir à statuer
Lorsqu'il constate l'existence d'une question préjudicielle, le juge doit surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction compétente (cf. articles 377 et 378 du NCPC ; Cas. soc. 2 novembre 1991, Bull. civ. V n° 528).
En l'occurrence, si le dirigeant est recevable dans sa contestation d'assiette, le juge civil est tenu de rechercher si l'exception soulevée constitue une question préjudicielle justifiant un sursis à statuer dans l'attente d'une décision fixant définitivement le principe et le montant de la dette fiscale, de sorte qu'il puisse disposer des éléments d'appréciation nécessaires à la justification de l'action du receveur.
A noter que la décision de sursis à statuer doit, dans ce cas, être obtenue impérativement car elle seule a pour effet de suspendre le délai de péremption de l'instance (cf. art. 386 et 392 al. 2 du NCPC ; Cass. civ. 21 janvier 1987, Bull. civ. Il n° 20).
34Toutefois, le juge auquel est opposée une exception de procédure fondée sur une question préjudicielle n'est tenu de surseoir à statuer que si cette exception présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution peut avoir une influence sur le règlement du fond du litige (cf. Cass. civ. 19 juin 1985 D. 1985-426 ; Soc. 23 mars 1989 JCP 1990 II. 21466, Cass. com. n° 1108 D du 10 mai 1994).
Il est donc possible, sous réserve de l'appréciation des tribunaux, de faire ressortir le caractère dilatoire de l'exception soulevée devant le juge civil et de s'opposer ainsi à la demande de sursis à statuer en recourant à deux démarches successives.
Il convient tout d'abord de solliciter du juge qu'il impartisse un délai permettant au dirigeant de justifier de ses diligences, accomplies en vue du règlement du litige fiscal (réclamation devant le directeur ou saisine du tribunal administratif dans les conditions fixées à l'article R* 199-1 du LPF).
Dans un deuxième temps, si le défendeur n'a pas produit de justification, le comptable demandera au juge de relever l'absence de caractère sérieux de la question préjudicielle et de refuser le sursis à statuer.
B. EFFETS DE LA DECISION
35Le jugement du Président du Tribunal de grande instance déclarant le dirigeant solidairement tenu au paiement des impositions et pénalités dues par la société débitrice, crée une situation nouvelle découlant des principes généraux de la solidarité.
Cette décision, qui a donné au Trésor un débiteur supplémentaire, ouvre de nouvelles perspectives à l'action en recouvrement de la créance fiscale, et elle en garantit l'exécution.
I. Effets juridiques de la solidarité
36Le ou les dirigeants qui ont été déclarés solidairement responsables, avec la société, deviennent débiteurs directs des droits et des pénalités au même titre que la société elle-même. En effet, ils sont engagés " à une même chose " (article 1200 du Code civil).
La solidarité instituée par les articles L 266 et L 267 a le caractère d'une solidarité " parfaite " .
Elle ne se limite donc pas à une obligation " in solidum " qui pèse de plein droit sur les coauteurs d'une faute commune (Cass. civ. 23 février 1972, JCP 1972 II. 17135) et qui, tout en jouant le même rôle de garantie de paiement au profit du créancier, écarte les effets accessoires de la solidarité, issue du principe de représentation mutuelle des codébiteurs (cf. note LAMBERT-FAIVRE, sous Cass. civ. 13 novembre 1967, D. 1968.97).
La compréhension du mécanisme de la solidarité nécessite de prendre en considération tous les effets dont est assortie la condamnation
1. Les effets principaux de la solidarité
37Tous les codébiteurs sont dans la même situation juridique à l'égard du créancier : ils sont débiteurs principaux.
Conséquences :
a. La créance n'étant pas divisible, le receveur chargé du recouvrement est en droit de réclamer le tout au débiteur de son choix sans que ce dernier puisse opposer le bénéfice de la division (article 1203 du Code civil)
Le juge n'a d'ailleurs pas le pouvoir d'établir un partage entre les personnes concernées.
Le créancier évite ainsi de supporter les conséquences de l'insolvabilité de l'un des codébiteurs.
b. Le paiement fait par l'un des codébiteurs libère les autres (article 1200 du Code civil)
En effet, le créancier ne peut réclamer plus que le montant de la dette.
Toutefois, en exerçant son action contre l'un deux, le receveur ne renonce pas pour autant à agir contre les autres et n'épuise pas ses droits (article 1204 du Code civil).
Par ailleurs, celui qui a payé la dette fiscale peut se retourner contre les autres codébiteurs, en vertu de l'action récursoire régie par les articles 1213 à 1216 du Code civil.
38 NOTA : En raison de la primauté de l'obligation fiscale qui trouve son origine directement dans la loi par rapport à l'obligation solidaire qui procède du jugement, il y a lieu de considérer que le dirigeant est en droit de demander à la société débitrice le remboursement intégral de la somme qu'il a payée (sur ce point, voir Cass. com. 19 novembre 1991, RJF 2/92 n° 261 et commentaires).
En revanche, lorsque la solidarité est prononcée à rencontre de plusieurs dirigeants tenus à la même dette, il est de principe que chaque dirigeant est débiteur pour sa part et garant de la part des autres.
Dans ce cas, l'obligation solidaire se divise par parts égales entre les dirigeants coobligés (article 1214 du Code civil) et celui qui a payé plus que sa part, dispose d'un recours contre ses coobligés afin d'assurer la contribution définitive de chacun à la dette (cf. Le recours entre coobligés J. BORE D. 1967.I.2126 ; Cass. civ. 7 février 1989, RTD civ, 1989.543).
Il en résulte également que chaque dirigeant peut se prévaloir de la subrogation légale prévue par l'article 1251-3 du Code civil.
Quoi qu'il en soit, le receveur qui aurait obtenu le paiement intégral de sa créance doit rester étranger à ces questions. Il se bornera, le cas échéant, à fournir une attestation de paiement au codébiteur qui demanderait à être-subrogé dans les droits et sûretés du Trésor.